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Petite Gazette d’art


EXPOSITION HENRI HÉRAN[1]

Le buste du graveur Henri Héran figure à son exposition. Il y apparaît de belle santé, robuste. Point n’est besoin cependant de ce buste pour le supposer ainsi, il suffit de ses œuvres. Celui qui incise aussi fortement dans le cuivre sa volonté et précise avec une telle concision les douleurs ou les passions des êtres évoqués, laissant à d’autres l’imprévu des fiévreuses incorrections, est immanquablement un puissant au physique. L’œuvre de M. Henri Héran est multiple. Graveur avant tout, il est aussi quelquefois lithographe ou pastelliste. Mais, quel que soit le procédé employé, la robustesse de l’artiste demeure visible. Son talent, fait de réalité, lui permet cependant un certain symbolisme. Non de choses, mais d’humanités. Ce n’est pas dans l’inflexion d’un roseau, d’une fleur, qu’il cherchera la tristesse, la joie, mais dans les yeux et les traits de l’homme. Aussi apparait-il comme un illustrateur possible pour tels grands drames passionnels et souhaiterait-on de lui une interprétation des personnages d’Ibsen.

En attendant, pour la « Ballade de la Geôle de Reading », d’Oscar Wilde, il a tracé une composition saisissante : dans le gouffre, une femme plonge, et sa chevelure douce, caressante, s’est enroulée autour du cou de l’homme, qu’elle entraîne. Il faut voir l’expression d’angoisse de celui-ci. Il sent la catastrophe et il n’essaye point de lutter. Il sait qu’il lui faut obéir, que celle qui l’entraîne est la Pensée, bonne ou mauvaise, et qu’il doit la suivre jusqu’au bout : dans la prison, la roue d’infamie, l’abîme. Ce sujet, le graveur la pris et repris. Le teintant de bleu, il en fait le Baiser : un baiser où la chevelure serpentine de tout à l’heure vient encore prendre le mâle, l’étrangler. Et puis, voici les Deux Rois. Rois d’où, de quoi ? L’un, de figure douce, à longs cheveux, semble un Christ ; l’autre, à masque décidé, au cou puissant, tranché vif comme par le couteau d’une guillotine, quel est-il ? Ravachol, peut-être.

Mais si le tempérament, l’esprit de M. Henri Héran le poussent à interpréter les passions humaines, à rendre tangibles les mystères évoqués par les écrivains et les musiciens — Wagner —, sa pointe souple lui permet d’autres sujets, parfois gracieux, comme cette danseuse blanche, motif d’ex-libris. Les aspects pittoresques des vieux quartiers des grandes villes le tentent aussi. Et c’est la rue Saint—Vincent, à Montmartre, la rue Eau de Robec et le cul-de-sac du Haut-Alariage, à Rouen. En lithographie ou au crayon, quelques portraits d’accentuation énergique, parmi lesquels se détache le regard profond de Jules Valadon, les visages significatifs de Strindberg, de Stéphan George, d’Arthur Symons, de M. Dauthenday, enfin, de l’auteur lui-même.

  1. Chez Hessèle, rue Laffitte, Paris.