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Notes
politiques et sociales


LA SITUATION DE M. CHAMBERLAIN

Quels que soient les événements qui surgissent par la suite dans l’Afrique australe, que les Boers continuent la série de leurs succès, ou que lord Roberts, le nouveau généralissime britannique, rachète les fautes des White, des Methuen, des French, des Gatacre et des Buller, M. Chamberlain est condamné. Même des triomphes éclatants n’effaceraient pas le souvenir des heures cruelles qu’il a infligées à l’Angleterre. Même l’entrée simultanée à Bloemfontein et à Pretoria, éventualité très douteuse, des troupes de Natalie et du Cap, ne saurait atténuer la mémoire des insultes ([ue son ambition a values à son pays.

Nous n’aurions garde, au surplus, de le plaindre. Depuis plus de trente-six mois, il a été pour le monde civilisé une torche toujours flambante et menaçante. Maître de l’Angleterre, débordant les frontières de son ministère, soucieux de jouer un rôle et au dedans et au dehors, il prétendait régenter à la fois l’administration des Trois-Royaumes et inspirer leurs relations étrangères. Qui ne se rappelle les discours sans précédents où il provoquait tour à tour la Russie et la France, comparant l’une au diable, traitant l’autre comme un enfant rebelle, puis les harangues enthousiastes où il proclamait l’alliance anglo-allemande et l’alliance anglo-américaine ? À deux reprises, M. Chamberlain fit tous ses efforts pour que des litiges accessoires, sur le Continent Noir devinssent des brandons de guerre entre la République et le Royaume-Uni. L’issue pacifique du conflit de Fachoda fut un premier désastre pour lui ; il voulut se venger sur le Transvaal en précipitant 100.000 hommes vers Prétoria ; et le Transvaal est la pierre d’achoppement de son omnipotence ; c’est là que viennent se briser et son prestige présent et tous les rêves d’avenir, toutes les conceptions de dictature parlementaire qu’il avait échafaudées sur un grand succès militaire.

L’heure de la justice approche, elle sonne pour cet homme qui fut néfaste à son pays, qui faillit être néfaste à l’humanité. Qu’il expie : passons. Mais l’on ne peut oublier que durant des semaines et des mois, il incarna la pensée maîtresse de ses concitoyens, qu’il en fut la parole et le bras, que son pouvoir fut fait de son obéissance servile à une poussée d’opinion. Et ainsi il ne tombera point seul ; dans sa chute, il entraînera tout le programme d’une génération, tout le rationalisme théâtral qu’engendrèrent Outre-Manche tant d’éléments divers, la décadence économique, l’isolement diplomatique et, par dessus tout, l’incomparable succès de l’expansion africaine. Avec