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L’ouvrage n’avançait pas. Le rêve peu à peu se substituait au syllogisme. Gilbert pensait à Claire. Chassée, exorcisée, l’image de la jeune fille revenait malgré lui, se glissait entre les feuillets inutilement consultés du Compendium. Et Gilbert se dépitait, se révoltait contre l’intruse. Faible contre le souvenir, il fuyait la réalité, il se refusait aux occasions de revoir mademoiselle Mériel.

Et l’abbé se moquait de sa sauvagerie :

— Tu préfères donc passer la soirée avec tes livres qu’avec tes amis ? Drôle de goût ! Madame Mériel n’est pas contente de toi, je t’en avertis. Et moi je ne sais plus que dire pour t’excuser. La migraine ? Ça ne prend plus. Tâche de trouver autre chose ; tâche de venir, surtout. Peut-être as-tu consulté l’abbé Védrune et attends-tu qu’il t’ait donné la permission de sortir, de tripoter le carton ou de pousser les dominos avec nous ? Attends donc, puisque tu as peur de te damner en notre compagnie. Mais je te préviens que tu joues un sot personnage.

Gilbert souriait, promettait de venir, se dérobait encore. Mais un matin, après la messe, l’abbé Resongle le manda à la sacristie. Madame Mériel l’avait chargé d’une commission pour lui. Affaire urgente ; un service qu’elle avait à lui demander, des leçons de latin à donner au jeune Bernard.

Le bon curé s’amusait de l’air attrapé du séminariste.

— On te tient, cette fois, mon petit ! disait-il, en se frottant les mains ; impossible de t’échapper. C’est Claire qui a eu cette bonne idée, et Madame Mériel a sauté dessus. Elle t’attend demain, après son déjeuner.

(À suivre.)
Émile Pouvillon