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— Tu m’aideras ce soir, commandait-il à Gilbert. À nous deux, nous soignerons les petits pois ; nous leur en donnerons jusqu’à plus soif. Et tu verras comme ils seront reconnaissants. Bien arrosés, il nous fondront dans la bouche. Avec une tranche de jambon de la Montagne-Noire et des pigeons du pays, tu t’en lécheras les doigts, mon enfant. Ils sont gras, cette année, les pigeons ; le blé couché par l’orage qu’il fit avant les fauchaisons, s’est égrené à terre ; ces bestioles s’en fourrent à pleins jabots. À quelque chose malheur est bon…

À tout moment dérangé par le curé, Gilbert n’avait seulement pas une minute de tranquillité pour dire ses prières à l’église. Il avait beau invoquer le règlement.

— Les vacances sont les vacances, déclarait l’abbé Resongle. Le temps ne te manquera pas pour te sanctifier au séminaire. Tu es ici pour réparer tes forces, pour te gaver de plein air… et pour obéir à ton curé, ajoutait-il en riant. Sais-tu que j’ai des droits sur toi ? que je serai chargé, à la fin des vacances, de faire un rapport à tes supérieurs. Prends garde ! Tâche de te bien conduire à table, si tu veux être bien noté. Songe que c’est une bonne œuvre que tu accomplis en me tenant compagnie. Crois-tu que je ne déjeune pas assez souvent seul ? Mauvaise affaire ! On mange trop vite alors, et la digestion se fait mal…

Et de fait, le déjeuner n’en finissait pas. Et après le déjeuner, le café, les petits verres. Il y avait une certaine liqueur de prunelles fabriquée par Thècle, un velours sur la langue, un baume dans l’estomac, résumait l’abbé Resongle. Chaque fois que tu en prends, assurait-il, tu allonges ta vie d’un an.

— À ce compte, nous sommes sûrs de devenir centenaires ! plaisantait Gilbert en écartant la bouteille.

— Je te scandalise, mon pauvre enfant ! soupirait le curé. Si, si, je le vois bien, répétait-il, en réponse aux dénégations de Gilbert. Et ça ne me surprend pas. C’est que vous êtes gâtés en fait de vertu, au grand séminaire. Vous vivez avec des saints. De l’abbé Védrune, tomber sur l’abbé Resongle, cela fait une dégringolade. Tu m’aimes, je le crois, mais tu me méprises un peu, j’en suis sûr. Eh bien, tu as tort, mon ami ; tu as grand tort. Crois-tu que ton abbé Védrune que j’admire, que je vénère autant que toi, crois-tu que ce saint homme, qui sera peut-être