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Le Vœu d’être chaste[1]


IV


La maison des Mériel où l’abbé Resongle et Gilbert se rendaient un peu après — elle était située juste en face de la cure, et on n’avait que la rue à traverser pour aller de l'une à l’autre — passait pour la plus belle du village. Sa façade à deux étages, ses larges baies, ses corniches surchargées de moulures, son acrotère décoré de mascarons en terre cuite faisaient honte aux humbles logis voisins, aux modestes bâtisses percées de ces ouvertures étroites que la prudence des maîtres maçons d’autrefois opposait à la violence du vent d’autan, charrieur de poussières et de bruits. Pendant des années, jusqu’à son expérience de la grande ville, l’habitation des Mériel avait été pour Gilbert le lieu du luxe, de la mondanité. Les départs de la calèche surannée qui charriait la famille vers quelque partie de campagne, vers quelque visite aux châteaux voisins, les grands dîners, les sauteries d’automne qui envoyaient vers l’obscur village l’éclat des lustres avec le rythme des danses avaient éveillé ses premiers appétits d’élégance, ses premiers rêves de plaisir.

Ce paradis était fort accessible. Si la grande porte, la porte d’honneur, ne se déverrouillait que pour les grands invités, pour Monseigneur en tournée de confirmation, pour l’état-major d’une brigade en manœuvres, la petite porte, la porte quotidienne, destinée dans le plan de l’architecte au service de la cuisine et des communs, était ouverte à tout venant. D’ailleurs, tant que le père de Claire avait vécu, la cuisine avait été l’endroit le plus animé, le plus fréquenté de la maison. Le salon ne comptait pas, toujours fermé, le cabinet de travail, envahi par la pharmacie de Madame, encombré par l’attirail de chasse de Monsieur, ne servait guère ju’aux siestes des après-déjeuners d’été, aux bons sommeils dans le canapé que se disputaient les chasseurs et les chiens. La cuisine était le vrai centre de la maison.

  1. Voir La revue blanche du 15 décembre 1899.