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Petite Gazette d’art

LA LIBRE ESTHÉTIQUE, BRUXELLES

Il y aura bientôt vingt ans qu’avec ses cent cinquante mètres de rampe elle s’aligne pour la désirable et angoissante bataille. Les premières campagnes furent rudes. Pourtant on célébra ses triomphes, même au temps qu’elle s’appelait les Vingt. Elle aurait pu les consigner et s’endormir. Elle préféra recommencer l’effort : ses catalogues se renouvelaient sans cesse. On l’injuria, on la bafoua en des revues et des vaudevilles. Les journalistes les plus écoutés lui furent grossiers pour dûment prouver qu’ils restaient spirituels.

Toutes les mouches du sarcasme tourbillonnaient. Et la foule se tordait. Elle inventait de nouvelles désignations d’écoles pour en accabler les peintres. C’était une course générale au clocher de la bêtise.

Certes les temps ont changé. On ose moins, mais on enrage encore. Il faut qu’on veille. Car si jamais la Libre Esthétique s’abandonnait trop à la confiance, si jamais elle hésitait à se montrer accueillante à l’indiscipline et à la révolte, sa raison d’être disparaîtrait d’emblée. Elle doit demeurer en Belgique le scandale nécessaire.

Cette année, elle arbore comme jadis quelques fruits d’art superbe à ses espaliers larges. J’admire absolument une merveilleuse nature morte d’Ensor. Un coq y pend parmi des fruits étalés sur la table. Son plumage havane, se détachant sur un fond mi-parti blanc et bleu, y fixe une note rare dans la mêlée des rouges, des jaunes et des verts subjacents. Cette toile à des fraîcheurs de neige colorée, des radiances savoureuses, des puretés de joyaux et des chaleurs de duvet. Elle semble peinte pour aviver la gourmandise de quelque ange flamand dont la légende célèbre à la fois la blancheur immaculée des ailes et la rouge santé des lèvres et des joues. Elle est chaude et froide, belle de toutes les sensations antithétiques qu’elle fait naître. Elle rayonne de vie et de mort.

Et Laermans ? Ceux qui l’aiment ne se lassent point de suivre à travers champs, vers les villages, ses théories de vagabonds et de mendiants, lassés comme des juifs errants et qui marchent, quand même, comme s’ils espéraient un jour trouver la fin des interminables routes humaines. Cette fois, c’est une famille de bûcherons brouettant des rameaux morts. La servilité et la tristesse font de leurs corps des corps de plomb et de bois. Ils sont lourds et gourds. Leurs attitudes volées au cœur même de la vie sont d’une vérité telle que ceux qui n’observent pas les jugent caricaturales. Erreur. Ce sont les authentiques esclaves de la terre brabançonne qui marchent et peinent et souffrent en un tel art. Il pourrait se réclamer des Breughel et des Brauwer, s’il lui fallait des répondants. Le peintre moderne, avec