théoriciens, d’orateurs ni de militants ; il trouvera, puisqu’il le faut, des gens d’affaires. Il trouvera même ce qui lui a fait le plus cruellement défaut jusqu’à ce jour, ses spécialistes. Un parti ne peut vivre et réussir qu’autant qu’il a formé des spécialistes. Souvent même il persiste par cela seul, alors que toute vie idéale, toute confiance populaire l’ont abandonné déjà. L’histoire de la troisième République confirme entièrement cette vérité élémentaire. Les opportunistes se sont survécu dix ans à eux-mêmes, parce qu’ils comptaient des hommes capables de lire une loi de finances, d’établir un tarif de douanes, de rédiger un texte pénal. La disette absolue de spécialistes a condamné et condamne encore aujourd’hui à la plus piteuse impuissance le parti dit radical. On pouvait craindre qu’un jour les victoires parlementaires du prolétariat vinssent se heurter à une difficulté semblable. Mais au Comité général, par l’effet même de la division du travail, il se formera des spécialistes, tandis qu’à la Chambre la paresse du plus grand nombre des députés du parti s’en remettait trop aisément à la forte culture générale, à l’aisance d’assimilation incroyable d’un Jaurès.
Je note là des vœux, des réserves ; mais il est clair néanmoins que, de ce jour, une phase nouvelle commence pour le mouvement socialiste français. On a vu suffisamment que j’étais de ceux qui croient l’union sincère, profonde, indélébile. C’est là le fait essentiel que nous souhaitions, que nous espérions, auquel nous n’osions presque plus croire, mais qui, avant dix ans, aura modifié la face des choses dans ce pays. Attendons-nous à ce que l’organisme qui vient d’être créé ne fonctionne pas sans quelques à-coups, sans quelques fautes. Mais peu importe, s’il agit finalement ; et il agira, parce qu’il était nécessaire. Ne nous laissons pas troubler à l’air railleur de ces gens méticuleux et formalistes qui ne croient qu’aux choses polies et achevées, pour qui le flottement et le premier désordre inévitable vicient l’effort nouveau et le mouvement. On ne peut attendre pour agir que toutes les conditions de l’action parfaite soient réalisées. Pas plus qu’on ne peut attendre d’avoir fixé dans une forme définitive et incontestable les principes théoriques qui servent de base à l’action.
Nul n’ignore, parmi les socialistes réfléchis, que la métaphysique de Marx est médiocre, nul n’ignore que sa doctrine économique rompt une de ses mailles chaque jour. Je le sais ; je sais aussi que la doctrine, en se renouvelant, demeurera toujours incertaine. Mais l’action, pas plus que la science, pas plus que la vie, n’a besoin de principes philosophiques certains. Comme elles sont, par elles-mêmes, le durable et le certain, elles peuvent d’édifier sur l’instable. Ce n’est pas là du scepticisme. Au contraire, le véritable scepticisme serait de croire que les obscurités de la pensée spéculative peuvent vicier l’expérience et l’action.
Ne nous arrêtons donc, ni à ce désordre encore inorganique qui fâchera les esthètes, ni à cet inachèvement théorique qui blesse les métaphysiciens. Quand nous nous levons pour marcher, nos premiers