parfois au début leurs interruptions, leur éloge ou leur blâme. Aux scènes dramatiques, on les vit fiévreux, colères ; on eut la sensation qu’à ces délégués qu’ils dominaient, ils dictaient les sommations de la France prolétarienne ; et cette intervention soudaine évoquait l’image d’une Convention nouvelle, avec les sections et les piques, et les canons braqués d’Henriot. Une attention plus respectueuse précédait certains noms : Lafargue, vieillard blanchi, jovial et casseur de vitres, qui lançait avec un accent bizarre des imprudences calculées ; Vaillant, vieillard rougeaud, aux épaules courbées, à la tête basse, alignant dans un débit bredouillant et rapide des phrases sourdes et courtes, qui semblaient se recouvrir l’une l’autre ; Zevaès, jeune homme aux larges bras ouverts et aux périodes enflammées ; Viviani, beau masque africain, montrant des méplats durs sous ses pommettes saillantes, avec une voix brève et chantante, une mâchoire forte et de beaux yeux décidés et durs.
Mais trois hommes ont dominé le Congrès : MM. Guesde, Jaurès et Allemane. M. Guesde parlait fort. Sa tête, penchée en arrière, semblait élever verticalement les paroles. Ses longs cheveux noirs s’écartaient de son cou, flottant. Et tout son corps bombé, tendu, semblait projeter vers les adversaires, avec un geste soudain du bras, l’argument décisif ou l’allusion directe. M. Allemane intervint deux fois, avec un tact, un bonheur et un esprit incomparables. Son visage blanc, entre d’épais cheveux noirs et la coupure brusque de la barbe, s’éclairait d’un regard pétillant et persuasif. Sa voix était douce. Il longeait la tribune à petits pas, en agitant une courte main pâle, dont il semblait choisir délicatement le mot le plus juste et la raison la plus fine. Quant à M. Jaurès, jamais ses amis ne l’auront connu plus beau et plus noble. La nécessité de resserrer en un court délai de temps une pensée qui se plaît aux développements les plus amples lui prêtait une concision plus forte, une puissance plus pressante et plus nourrie ; sa harangue de vingt minutes sur le cas Millerand vaut ses plus beaux discours classiques. Il l’a prononcée d’une voix d’abord simple et lente, qui grossissait et montait peu à peu, créant sans effort les mots et les images, et ajoutant à la pensée, sans jamais la dénaturer pour l’embellir, l’ornement mélodique de son lyrisme.
Des soirées resteront inoubliables : le mardi, M. Lafargue ayant accusé M. Jaurès de renier son passé, la salle presque entière se leva, délégués et spectateurs des galeries, rassurant de leur acclamation le grand tribun honnête, tandis que M. Jaurès, calme et doux, assis derrière l’orateur, murmurait gravement, d’une voix attristée : « Comment, vous, Lafargue ? » Le mercredi, à l’issue du débat Millerand, éclata la scène tragique. Il vaut mieux n’y pas insister, car elle restera toujours un peu obscure. Et le compte-rendu sténographique portera peut-être à croire que MM. Jaurès et Guesde, tous deux de bonne foi, mais tous deux à bout de force nerveuse, furent victimes d’un réel malentendu. Dans ces deux pages d’explications con-