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Je crois qu’il y avait au Congrès quelques spectateurs soucieux seulement du pittoresque. Ceux-là non plus n’auront pas perdu leur temps.

Le Congrès s’est tenu dans une vaste salle rectangulaire, plate et nue, que les tribunes en galerie surplombaient. La voix s’y transmettait mal ; elle y résonnait trop forte ou s’éteignait trop confuse. Sur une estrade latérale, large et basse, comme pour une distribution de prix, siégeait le bureau, et parlaient les orateurs. Au bas de la tribune, les délégués disposés en éventail, et en général réunis par groupes homogènes. D’avance, le Parti Ouvrier Français s’était massé à gauche.

L’attitude des délégués fut impressionnante. Sans doute, une provocation, un mot excessif, un vote douteux déchaînaient des violences soudaines. Mais des après-midi entières se passèrent sans un incident criard, sans un instant de tumulte. Et, en tout cas, les scènes les plus frénétiques n’ont pas effacé le souvenir que j’avais gardé de certaines séances parlementaires. Les délégués écoutaient en fumant. Leur attitude était à la fois familière et presque religieuse. Ils comprenaient qu’ils étaient venus pour une tâche presque historique, mais qui ne comportait pas d’hypocrisie ou de cérémonial. Ils exprimaient une foi sans contrainte et sans formalisme.

Dans aucune assemblée, quelle qu’elle puisse être, je n’ai relevé une moyenne d’orateurs égale. Ils étaient de toutes les origines et de toutes les conditions. Bourgeois et prolétaires d’origine, théoriciens et militants rudes se succédaient. Je crois bien pourtant n’avoir entendu qu’un ou deux discours vraiment médiocres. Beaucoup passaient presque inaperçus qui, dans une autre assemblée, se fussent détachés avec éclat. Les orateurs ne faisaient entendre que des paroles réfléchies ; chose extraordinaire dans toute discussion, ils se répondaient les uns aux autres. Ils pensaient plus à la question qu’à leur succès. Les débats presque toujours furent bien présidés. M. Marcel Sembat, notamment, montra dans ce rôle une vigueur, une bonne humeur, un à propos et une promptitude d’intelligence remarquables.

Presque tous les militants s’exprimaient d’une voix puissante et profonde, qu’aucun vacarme, aucune interruption ne troublaient. « Vous pouvez crier plus fort, disait M. Létang, j’en ai vu bien d’autres. Quand je suis à la tribune, j’y suis bien. » Et je pensais confusément qu’entre ces militants, tous égaux, tous fraternels, imbus à peu près au même degré des mêmes théories, la puissance, la ténacité de la voix, devenait la loi presque générale de la sélection. Je le dis sans aucune espèce d’ironie, car presque toutes les sélections seraient heureuses parmi ces militants admirables, si spontanés, si volontaires, libérés par l’ardeur révolutionnaire, mais instruits et régénérés par la pratique quotidienne du travail.

Les spectateurs des tribunes, attentifs mais familiers, mêlaient