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préparer les consciences bourgeoises aux changements nécessaires, pour que, même en en souffrant, elles y consentent, pour que, selon l’expression magnifique de Hugo, de la colère ne soit pas ajoutée à ce qui vient tranquillement. Cette action est indispensable et elle peut être très grande. L’absurdité est d’avoir voulu la réserver à M. Jaurès.

Voilà la faute, malveillante et jalouse dans son origine, qui a créé, avant et pendant le Congrès, tant de trouble et de colère. Un préjugé, répandu imprudemment dans des partis trop disciplinés, avait détaché de M. Jaurès nombre de militants sincères. L’erreur même et l’injustice avait plus étroitement rattaché à lui la majorité des délégués présents au Congrès. Je dois ajouter que, dès le début, on put avoir l’impression pénible que guesdistes et blanquistes amenaient au Congrès, grâce à une loi électorale absurde, grâce à une organisation patiente, grâce à une préparation minutieuse au point d’en être suspecte, une majorité toute factice. Enfin, un incident ridicule, basé sur des propos dénaturés, démentis, et pour lequel le Congrès se passionna sans le comprendre, l’incident Joindy-Liebknecht, vient augmenter encore la confusion. Mais MM. Guesde et Vaillant comprirent cependant assez vite que, pour l’essentiel, ils n’avaient pas calculé juste. Expulser M. Jaurès du parti était une entreprise impossible. D’abord sa popularité est trop profonde et son action personnelle trop puissante. La majorité réelle du parti, je ne veux parler non des mandataires mais des mandants, se serait rangée inévitablement de son côté. Un certain nombre de députés guesdistes se fussent ralliés à lui, et le Parti Ouvrier Français, dont la situation intérieure est fragile, que des groupements considérables ont abandonné déjà, n’eût pas été de force à supporter un nouveau schisme. Mais il y a un argument plus décisif. On ne chasse qu’un récalcitrant, on n’expulse qu’un rebelle. Or, quelle qu’eût été la résolution du Congrès sur la question qui lui eût tenu le plus chèrement au cœur, je suis certain que M. Jaurès se fût incliné simplement, sans une arrière pensée, sans une rancune. Pour ne pas l’avoir prévu, il faut avoir méconnu cette grande âme confiante et candide, tournée tout entière vers l’avenir.

MM. Guesde et Vaillant ont donc senti rapidement qu’ils avaient conçu une entreprise chimérique. Entreprise chimérique, aujourd’hui, plus chimérique encore demain. C’est pourquoi le Congrès s’est achevé dans la paix, dans la concorde et l’union. C’est pourquoi toutes les résolutions essentielles ont été votées par un accord unanime. Le germe des dissensions personnelles une fois étouffé, aucune division profonde ne subsistait plus. C’est pourquoi l’Union maintenant réalisée est sérieuse, sincère ; et les Débats auraient tort de plaisanter.