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Tu es celle qui ôte l’espérance,
Tu es celle qui tue la conscience.
Tu sais rendre même le succès amer
En nous privant de tout être cher,
Tu engendres le vice dans l’isolement
Pour que nous souffrions longuement.

Je voudrais t’oublier, ville triste et grise,
Revivre ailleurs la vie que tu m’as prise,
Pouvoir chasser de mon souvenir
Tout ton monde pourri, sans avenir,
Et retrouver enfin le contentement
Après avoir souffert si longuement.

Mais comme un cauchemar je crains parfois
D’entendre toujours la clameur de tes voix,
De revoir toujours tes tristes laideurs,
De sentir toujours tes fétides odeurs.
De ne plus pouvoir sourire gaiement
Parce que j’ai souffert trop longuement.
(Pékin, mai 1899.)




VENT DE SIBÉRIE


Sens-tu à travers l’espace
Combien je suis lasse.
Sens-tu que la destinée
Cruellement m’a brisée ?
Sens-tu mon isolement
Et tout l’effondrement
De chaque chose souhaitée,
Perdue aussitôt que née ?
Quand dans le steppe gémit le vent
C’est ma plainte que tu entends.

Sens-tu le profond dégoût
Et la fatigue de tout
L’ennui mortel de la vie
Qui m’ont toute envahie ?
Sens-tu combien j’espère
Ce qui seul nous libère
Ce qui nous donnera l’oubli,
De toutes chose dans l’infini.
Quand dans la steppe gémit le vent
C’est ma plainte que tu entends !
(Pékin.)