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J’y retrouvai toute une partie de moi-même.
Fantômes indécis, êtres aux formes blêmes,
Toutes les pensées que je ne t’ai jamais écrites,
Toutes les paroles que je ne t’ai jamais dites.

Tout ce que j’aurais voulu et qui ne put être,
Tout ce qu’un cruel sort n’a laissé naître.
Et dans l’étoile mystérieuse j’ai même trouvé
Le pauvre petit baiser que je ne t’ai pas donné.




ARRIVÉE


Quand après un long et dur voyage
J’abordai enfin dans ces tristes parages
Je vis que la porte d’entrée
Par un chien noir était gardée.
C’est, me dit-on, un chien de Mongolie
Gardien de la maison de Mélancolie.

De sa tête poilue il me frôlait
Haletante et sèche sa langue pendait.
Dans l’accablante chaleur
Je sentais palpiter son cœur.
« Depuis quand, ô chien de Mongolie,
Gardes-tu la maison de Mélancolie ?

— Bientôt sera terminé mon temps.
Je ne serai plus sentinelle longtemps.
Jamais aucun n’a résisté
Plus de deux brûlants étés.
Après, un autre chien de Mongolie
Vient garder la maison de Mélancolie. »

Deux ans ils gardent ce poste perdu
Puis on les enterre et n’en parle plus ;
Pour un qui part dix renaissent
Et les morts nul vide ne laissent :
Toujours se trouve un chien de Mongolie
Pour garder la maison de Mélancolie.
(Pékin.)




VILLE DE SOUFFRANCE


Quand je te vis d’abord, ville triste et grise,
D’un indicible effroi mon âme fut prise.
Je sentis sur le cœur un poids
Et il me parut entendre une voix
Qui me murmura sourdement :
C’est là que tu souffriras longuement.