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puis trois… puis dix ; du fait que le bâtiment se tient encore debout le spectateur futile conclut que leur chute est sans importance. Mais qui connaît les conditions de la stabilité d’une voûte pense autrement. Dans certains cas, une pierre tombant d’un certain endroit rompt l’équilibre, et alors s’écroule le monument altier.

W. Bienstock


[En appendice à l’article de documents qui précède, nous donnons ci après quelques pages de Léon Tolstoï écrites en 1897 à propos du testament de Nobel. Publiées d’abord en anglais et en suédois, elles ont récemment paru en russe, dans la revue la Pensée Libre (publiée à Genève sous la direction de M. Biriskoff, et c’est sur le texte russe que nous les traduisons. — W. B.]

À propos du testament de Nobel

J’ai lu dans les journaux suédois, que, par testament, Nobel a institué un prix en argent à décerner à la personne dont la propagande en faveur de la paix aura été le plus efficace.

Je crois que les hommes qui ont agi dans ce sens, ne l’ont fait que pour servir Dieu. Conférer à leur acte un caractère lucratif ne peut que leur être désagréable : c’est pourquoi il semble que cette clause du testament de Nobel ne puisse être strictement réalisée, en ce qui les concerne ; mais je crois qu’on satisferait à l’esprit du testament en donnant cet argent aux familles de ces hommes qui ont travaillé et travaillent pour la paix et, de ce fait, se trouvent dans la situation la plus pénible et la plus cruelle : je parle des familles des doukhobors du Caucase qui, au nombre actuel de 4.000 âmes, depuis trois années déjà subissent de la part du gouvernement russe les traitements les plus pénibles parce que tels de leurs membres ont refusé de servir dans l’armée active ou dans la réserve.

Trente-deux de ces hommes, après un séjour aux bataillons disciplinaires, où deux sont morts, ont été déportés dans la région la plus malsaine de la Sibérie, et près de trois cents souffrent dans les prisons du Caucase et de la Russie.

L’incompatibilité du service militaire avec la pratique du christianisme a toujours été évidente aux vrais chrétiens, et a maintes fois été avouée par eux ; mais toujours les sophistes de l’Église qui sont au service des autorités se sont ingéniés à étouffer ces voix, afin que les simples ne voient pas cette incompatibilité, et que, ne la voyant pas et continuant à se tenir pour chrétiens, ils entrent au service militaire et obéissent à l’autorité des gens qui les dresseront à l’assassinat.

Mais cette incompatibilité entre la profession du christianisme et la participation à l’œuvre militaire apparaît plus clairement, d’année en année, de jour en jour, et elle est arrivée au dernier degré de tension : tandis que, d’un côté, l’union et la communion des peuples chrétiens deviennent de plus en plus étroites, de l’autre, les mêmes peuples, dans un but réciproque d’hostilité ploient sous le fardeau toujours plus lourd de leurs armements.

Tous parlent pour la paix : les prêtres et les pasteurs la prônent dans leurs