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pliquer topiquement à ce cas-là, le conseil de guerre dut se contenter de le classer parmi les cas de « désobéissance aux chefs », délit pour lequel la punition maxima est de quatorze jours de cellule. C’était peu. Aussi s’avisa-t-on d’un stratagème : les diverses autorités militaires envoyèrent successivement à Van der Veer seize ordres de prendre les armes ; il y répondit par seize refus : de sorte qu’on le condamna à deux cent vingt-quatre jours de cellule. Il fut mis en liberté à la fin de 1898.

En Hollande, Skarvan vit Van der Veer, qui était alors rédacteur en chef du journal Vrede (Paix), où il faisait une active propagande pour la suppression de l’armée et, comme il l’avait écrit dans le programme de ce journal, « pour la libre vie d’esprit ». Van der Veer avait été remis en liberté avant l’expiration de sa peine, mesure libérale en apparence qu’il commentait de la sorte :

Les pouvoirs savent très bien que c’est un jeu dangereux que de punir un homme dont le seul méfait est de professer l’horreur du meurtre ; ils savent qu’un conflit avec de tels hommes montrera au peuple l’impuissance, la lâcheté et la cruauté du gouvernement, et cela d’autant plus clairement que le châtiment aura été plus dur. Que peut donc faire le gouvernement dans cette situation sans issue ? Il n’a qu’un parti à prendre : se débarrasser au plus vite d’un homme si funeste et, si c’est possible, tenir secret ce qui s’est passé. Cependant ce moyen même est impuissant. « La vérité, concluait Van der Veer, a trouvé un nouveau chemin et rien ne peut plus arrêter sa marche rapide. »

L’acte de Van der Veer fut comme un signal qui éveilla à la conscience d’eux-mêmes nombre d’individus.

Dans ce même voyage, Skarvan rencontra force pasteurs protestants qui reconnaissaient que l’Église n’est pas le témoin de Jésus-Christ, mais une institution maçonnée par les gouvernements pour empêcher que la chaleur et la lumière entrent dans les âmes. Ces prêtres enseignent que la vérité réside en la doctrine du Christ et non en celle de l’Église, et qu’un soldat n’est pas un chrétien.

Le 19 août dernier eut lieu, à La Haye, une réunion publique présidée par Van der Veer et dans laquelle trois prêtres, de ceux dont nous venons d’exposer les idées, MM. Bellard, Ducoux et Cleinh, firent, devant plus de sept cents auditeurs, leur profession de foi, se tenant pour coupables d’être restés jusqu’alors attachés à l’Église et d’avoir accepté salaire du gouvernement.

Chez les ennemis mêmes du militarisme, se formule parfois cette opinion sur le refus du service militaire : que l’intention est bonne, mais l’acte inutile ; que l’opposant est brisé, et que l’affreux « ordre public » persiste imperturbable.

Le Dr Skarvan s’élève contre telle pensée. Il croit qu’à chaque refus une pierre se détache et tombe de la voûte qui couvre et consolide l’architecture sociale actuelle. Une pierre se détache, puis deux,