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— Bonne année !… Bonne santé, et le reste !… conclut M. Bidoure, se lançant bravement au rez-de-chaussée de la maison de retraite, vers le grand et haut corridor, clair ainsi qu’un couloir d’hôpital, où se trouvaient les deux chambres de la tante Cottineau…


Celle-ci était une petite vieille pétillante, pétulante, presque cramoisie sous les deux anglaises blanches tombant le long de ses joues de pommes ridées. Elle portait un bonnet vert, une robe de soie violette aux fins plissés, et une longue chaîne de montre d’or à breloques, lui ballottant à même le ventre.

Près d’elle, Terpsichore, maigre fuseau octogénaire tout en noir, avec un bonnet noir sur sa tête de vieux macaque désabusé, se chauffait auprès d’un poêle.

— Ah !… fit la tante, se levant sitôt qu’elle aperçut les Bidoure !… Je croyais déjà que vous m’oubliiez !…

— Bonne année !… Bonne santé !… murmura gracieusement Mme Bidoure, la baisant sur son beau bonnet.

— Bonne santé !… ma tante ! insista M. Bidoure, à qui elle tendit la main.

— Bonne santé !… répétèrent à la queue-leu-leu les trois demoiselles, parmi lesquelles Juliette, porteuse de la souris modique contenant les papillotes et les crottes à crème rose ou blanche, insistait pour la lui faire prendre.

— Merci, ma fille… fit tante Cottineau… Tu es bien aimable !… Justement Terpsichore est une vieille goulue qui aime les croquettes. Elle les partagera avec Pepito, et elle nous laissera tranquilles pendant ce temps-là !…

La vieille demoiselle de compagnie qui se chauffait toujours près du poêle semblait ne rien entendre. Sur ses genoux, Pepito, l’affreux havanais à longs poils soyeux, dont les yeux étaient rouges et chassieux de même que s’il avait beaucoup pleuré, grognait sourdement.

— Terpsichore… lui cria la tante Cottineau dans les oreilles… Voilà du chocolat… Terpsichore… Lève-toi… Il y a du monde… Tu en partageras la moitié avec Pepito !

— Très honorée, Mesdames Messieurs… fit celle-ci d’un air ailleurs, tandis que ses mains travailleuses réussissaient déjà à entrouvrir la souris. Puis elle ajouta dolemment… Asseyez-vous donc, Mesdames !…

— On dit « bonne année ! » aujourd’hui !… interrompit la tante Cottineau d’un ton brusque.

— Bonne année !… Bonne année !… Bonne année !… Bonne année !… répéta ainsi qu’un automate la vieille demoiselle.

— Il ne faut pas faire attention, reprit la tante s’adressant aux Bidoure… Elle est complètement gâteuse !… Laissons-la tranquille dans son coin avec son chocolat comme un vieux singe qu’elle est.