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ainsi à sa vieille tante, si oubliée et qui a tant de douleurs à l’heure actuelle, dit la Capitan d’une voix de nez… Asseyez-vous, je vous prie… Car, je vous le répète, je suis toute seule, toute délaissée, et j’ai bien de la peine, mes pauvres amis !… Que c’est gracieux à vous de penser ainsi à votre vieille tante !…

Alors, elle démaillota avec des mains charmées la boîte chinoise de ses enveloppes et de ses faveurs, et soulevant le léger couvercle, le papier ajouré, mousseline, qui dissimulait les divers produits chocolatés, à l’anis, au nougat, à l’ananas, même les doubles pyramides couvertes de sucre cristallisé, si tentantes pour les veuves :

— Prenez-en, mes petites filles… fit-elle… car pour moi, j’ai de fort mauvaises dents, et je ne saurais y toucher !…

— Oh ! ma tante !… si nous avions pu prévoir, nous aurions apporté autre chose pour tes dents… fit Mme Pulchérie… Ça nous aurait été bien facile !…

— Je n’aurais même pas pu goûter à cette autre chose, ma pauvre fille, répondit-elle, car j’ai aussi un trop mauvais estomac !

— Nous aurions fait nos emplettes à un autre magasin, que chez ce chocolatier…

— J’ai tout mauvais, mes enfants… Je n’aurais pas pu me servir de vos emplettes !

Alors avec dignité et tristesse, ainsi qu’annuellement, elle commença son antienne :

Elle se portait bien mieux du temps de l’oncle Capitan, quoique ce ne fût pas toujours un homme agréable !… Oh, non !… Pourtant, elle avait éprouvé une grande douleur lorsqu’elle l’avait perdu !… On ne laisse pas s’en aller ainsi un époux, en compagnie duquel, malgré son affreux caractère, on a passé vingt-cinq années de son existence, sans être cruellement touchée !… Elle avait été touchée jusqu’aux moelles !… Trois semaines d’agonie, l’infortuné !… Et quelle agonie ! Il réclamait un revolver !… Ce sont de ces scènes atroces qui vous blanchissent les cheveux prématurément !… Elle ne souhaitait pas à son pire ennemi d’assister à ces scènes-là !… Elle en avait pour son compte éprouvé une telle révolution que, depuis ce temps, elle s’en ressentait toujours !

La dyspepsie ne la quittait plus !… Elle avait des pituites chaque matin, des hoquets chaque soir !… Elle rendait de l’eau par la bouche pendant des heures d’affiliée !… Les reins n’étaient pas meilleurs, tant elle avait dû se tenir debout pour soigner le cher moribond !… Le ventre devenait mou, atone, de plus en plus sujet aux coliques hépatiques et congestions hémorroïdales !… Et elle demeurait toute triste, seule, avec tous ses chagrins, sa dyspepsie et ses douleurs… négligée !… abandonnée !…

— Prenez donc du baume Opodeldock ! C’est excellent, ma tante !… insinua afin de trouver un remède à cette grande tristesse Mme Pulchérie… Je m’en suis trouvée très bien l’année dernière !…

— Ou de la tisane des Shakers !… insinua Clara… Il y a une de