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sur le dos comme de braise noire, qui allaient emporter les Bidoure vers le chocolatier où ils se fournissaient d’habitude, lorsqu’on vit un second quatre places aux petits chevaux jaune-clair couverts aussi sur le dos comme de braise noire, s’arrêter devant la porte-cochère, et tous les Norbert-Lemur, y compris leurs trois fils, en descendre subitement.

— Enchanté, fit Norbert-Lemur d’un ton badin, nous allions justement chez vous. Permettez-moi de vous présenter mes souhaits de nouvel an, au milieu de la rue.

— Nous vous présentons les nôtres, et les meilleurs, mon cher Norbert, fit Mme Pulchérie.

— Tiens, mon petit Pulcho, voilà les marrons de l’amitié !… interrompit Mme Lemur.

— Que c’est gentil à vous vraiment !… Vous nous gâtez !…

— Bonne année, bonne santé et le reste… conclut M. Bidoure d’un air entendu.

Cependant les jeunes Lemur profitaient de cet assaut de courtoisie de leurs parents pour en tenter d’autres, plus effectifs, sur les joues roses et tendues de ces jeunes demoiselles Bidoure.

M. Bidoure, qui s’en aperçut à un regard dont un coiffeur vis-à-vis, suivait ce petit manège de derrière sa vitrine, se contenta de prononcer :

— Mesdemoiselles, allez vite porter ce sac de marrons chez Widmer, et dites que nous le reprendrons en rentrant.

Alors la famille Lemur réintégra son quatre places à l’heure aux deux petits quadrupèdes jaune-clair couverts sur le dos comme de braise noire, tandis que la famille Bidoure, dès que ces demoiselles furent revenues, s’immisçait dans la sienne aux petits quadrupèdes gris couverts sur le dos d’une identique braise noire, tout semblablement.


Chez le chocolatier du boulevard où l’on se fournissait d’habitude, les jeunes filles du comptoir étaient affolées et ne savaient à qui répondre. C’est à peine si, au milieu de leur coup de feu, elles eurent le loisir de s’informer de la santé de cette excellente Madame et de cet excellent Monsieur Bidoure, de si bons clients !

Elles mirent même trois quarts d’heure à leur préparer les trois emplettes qu’ils firent : la première de chocolat, boîte chinoise d’un goût à la fois riche et distingué, pour la tante Capitan, que porta Clara ; la seconde, de marrons glacés, superbe cigogne en peluche pour la tante Duseigneur, que porta Sophie ; la troisième, de papillotes mélangées de crottes contenant de la crème rose ou blanche, petite souris dans les prix doux, pour la tante Cottineau, sa vieille demoiselle de compagnie Terpsichore, et son vieux chien havanais Pépito, que porta Juliette.

C’étaient les trois tantes fondamentales, celles auxquelles, pour des