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Qui s’y frotte s’y pique ! Nous avons eu un grand succès, je vous assure, chère amie, il y avait même quelques couplets que j’ai chantés, et qui ont eu les honneurs du bis ! Nous avions eu de nombreuses répétitions qui avaient été autant de parties de plaisir ; les parents n’étaient pas autorisés à y assister, de cette façon vous comprenez quelle franche gaîté a présidé à ces répétitions ! Il y avait surtout le frère d’une jeune fille, qui ne savait jamais son rôle, il avait des mines impayables, et, rien qu’à le voir, nous riions sans nous arrêter… Les costumes aussi avaient été très réussis. Le mien était en drap rouge, bordé de velours noir ; j’avais un petit bonnet de dentelles, et un petit tablier rose avec des poches ; je tenais une corbeille toute garnie de rubans roses et bleus, dans laquelle se trouvaient des fleurs artificielles que je devais jeter devant le premier rôle qui était une marquise. Après la comédie, on a dansé jusqu’à une heure du matin, et on a soupé très gaîment. Quel malheur que vous n’ayez pas été avec nous, chère Yvonne, car alors la fête aurait été complète ! Mais, j’y pense, peut-être que ces plaisirs de campagne vous touchent peu, chère amie, habituée que vous êtes depuis trois mois (déjà !) à ceux de Paris, si dissemblables, je crois, des nôtres… C’est égal, il me semble que, même devenue parisienne, je n’aurais garde d’oublier ce qui autrefois me réjouissait tant : n’ai-je pas un peu raison, chère amie ?…

Depuis ma dernière lettre, rien de bien extraordinaire ne s’est passé à La Marche ; il y a eu deux bals à la préfecture ; on a beaucoup jasé sur la toilette de la préfète ; nous avions une invitation, et j’aurais assez aimé à assister à un de ces bals, mais justement mon père se trouvait un peu grippé, et puis je crois qu’il n’était pas fâché d’avoir un prétexte pour refuser au préfet, je ne sais pourquoi, bref nous ne pouvions songer à aller seules, ma mère et moi…

Je passe fréquemment, en me rendant à mon cours de solfège, devant votre ancienne habitation qui n’est pas encore louée. J’aperçois, à travers la grille du jardin, le buisson de houx tout rempli de belles petites boules, et çà me donne envie, chaque fois, d’entrer et de les cueillir. Vous rappelez-vous, chère Yvonne, il n’y a pas plus de quatre ou cinq ans, les jolis colliers que nous faisions à nos poupées avec ces petits fruits rouges ? Que tout cela est loin, mon Dieu ! Nous voici de grandes et sérieuses personnes, à présent, — bonnes à marier, comme dit monsieur le vicaire !… Allons, ma chère Yvonne, que je vous souhaite, en terminant cette longue lettre, une bonne et heureuse année ! Faites bien nos meilleures amitiés à madame Martin-Martin, sans oublier M. Martin-Martin à qui mon père doit, je crois, écrire prochainement. Mille affectueux baisers de votre amie,

Marthe Benoît

Du « Petit Tambour » :

Une lettre de M. Martin-Martin

Nous sommes heureux de reproduire dans nos colonnes la lettre suivante,