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Du Val entre, monologuant.

Du Val. — Ma noce approche ! Ma fiancée est spirituelle, belle et noble. Mais j’ai 12.000 écus de dettes, et elle est trop prévoyante pour me mettre en mains un tel capital avant le reste. Je voudrais quelle fût au haut du Bructère et avoir son sac sur le dos !

Le Diable, (s’avançant, à part). — Encore un homme estimable ! (Haut.) Votre serviteur, monsieur Du Val ! Comment va ?

Du Val. — Mal, monsieur le chanoine !

Le Diable. — Que dois-je vous payer pour votre fiancée ?

Du Val, {en colère). — Monsieur, vous — !

Le Diable. — Je suis passionné collectionneur de hannetons célibataires, d’aubergistes gras et de jeunes fiancées, et ne lésinerai pas sur le prix !

Du Val. — Tiens, tiens ! Collectionneur ! Ne pas lésiner ! Que m’offrez-vous pour Liddy ? Elle est extraordinairement belle.

Le Diable. — Pour sa beauté, je donne 2.000 écus en monnaie conventionnelle.

Du Val. — Elle a de l’intelligence.

Le Diable. — Je la paye donc 5 sous, 2 liards de moins, car c’est chez une jeune fille une tare.

Du Val. — Elle a la main fine et blanche.

Le Diable. — Cela rend les soufflets doux : pour cela, je paye 7.000 écus d’or.

Du Val. — Elle est encore innocente.

Le Diable, (se renfrognant). — Heu. innocence par-ci, innocence par-là, je ne vous donne pour cela que 3 sous, 1 liard en cuivre.

Du Val. — Mais Liddy a aussi de la sensibilité, de l’imagination.

Le Diable. — La sensibilité gâte le teint, l’imagination fait des cernes bleus autour des yeux, et de mauvaise soupe. Pour tout ce bazar, je donne par ironie une pièce de trois centimes.

Du Val. — Vous avez un goût assez difficile.

Le Diable. — Pour bien finir, je vous paye, pour que vous vous taisiez sur les qualités morales de la baronne, qu’il m’est malsain d’entendre, encore 11.000 écus en ducats cordonnés de Hollande, et je vous demande si mes offres vous paraissent acceptables.

Du Val. — Tout cela fait, en tout ?

Le Diable, (comptant sur ses doigts). — Pour la beauté, 2,000 écus en monnaie conventionnelle ;