Alors, vous voyez notre situation ; nous campons dans une maison à peu près démeublée, avec nos malles à moitié faites : ajoutez à cela une foule de petits ennuis, la saison qui avance ; ma mère, qui comptait me commander un costume en arrivant à Paris, s’est brouillée avec notre couturière, madame Prunet ; je n’ai rien à me mettre ; nous vivons en recluses. Enfin, père vient de se décider à partir pour Paris, arrêter un appartement, et « à moins d’événements graves », comme dit père, je crois bien qu’à la fin du mois nous serons complètement installés. Mais, mon Dieu ! que de tracas, et comme vous avez de la chance, ma chère, de n’avoir rien à démêler avec cette affreuse politique !…
Enfin, il ne faut pas que j’en dise trop de mal, puisque je lui devrai d’habiter Paris et de vous revoir : ah ! oui, cela surtout, ma chère Germaine ; il me tarde bien de vous avoir vue, et d’avoir causé un peu avec vous de ce grand et cher Paris de mes rêves, où vous voudrez bien me piloter un peu, n’est-ce pas, et faire mon éducation, de petite provinciale ; vous êtes si intelligente et si répandue !…
Comme vous devez vous amuser en ce moment ! Je vois par les journaux que tous les théâtres ont rouvert, et vraiment les comptes rendus qu’on donne sont d’un passionnant ! Il y a un spectacle dont on parle beaucoup, je crois, et qui m’attire plus que tout autre ; d’ailleurs mère m’a bien promis de m’y conduire dès notre arrivée : c’est le Combat Naval ; d’après les causeries que j’ai eues à ce sujet avec le fils Rodrigues, vous savez, qui justement vient de sortir du Borda, cela doit être passionnant ; je serai aussi bien heureuse, ma chère Germaine, si vous voulez bien être des nôtres ce soir-là, quoique à coup sûr vous ayez déjà dû voir ce spectacle unique en son genre, n’est-il pas vrai ?
Le Métropolitain aussi m’impressionne et m’intéresse au plus haut point ; que tous ces travaux gigantesques doivent être passionnants ! Les avez-vous vus, chère Germaine ? Père s’y intéresse aussi très vivement. Nous allons arriver à Paris juste au bon moment, ne trouvez-vous pas ? L’Exposition si prochaine doit amener tant de monde et par ce fait occasionner un énorme mouvement : ce n’est pas moi qui m’en plaindrai, ni vous, ma chère, convenez-en…
Mais il faut encore que je vous remercie de votre lettre, ma chère Germaine ; elle m’a si vivement intéressée ! Ma mère l’a lue et a trouvé votre style charmant. Le bal dont vous me parliez m’a d’autant plus intéressée que je connais un peu l’un de vos danseurs, Octave Ramponot. Sa sœur suivait en même temps que moi les cours de mesdames Cambrone, et, naturellement, elle m’entretenait souvent de son frère qui, à cette époque, venait d’échouer à Polytechnique. N’est-ce pas un petit jeune homme blond, à monocle ? Assez bien. Il avait du bagout et de l’entrain ; mais pas très excellent valseur, à ce que j’ai entendu dire à ces demoiselles Rodrigues ; encore un de ces jeunes gens sans doute qui trouvent plus chic de rester pendant la moitié du bal plan-