plus encourageant que de voir les dreyfusards sous le feu des épithètes de « sans-patrie », d’ « internationalistes », réservées jusqu’alors exclusivement aux socialistes, monter à l’assaut de l’État-Major et dénoncer les grands chefs, espoir de la revanche, comme des menteurs, des faussaires, des mouchards, des escrocs, des souteneurs qui, sans vergogne, foulaient aux pieds le pharamineux honneur de l’armée, tandis que les anti-dreyfusards traînaient dans la boue l’immaculée Justice dans la personne de ses représentants les plus respectables et les plus fourrés d’hermine, les juges de la Cour suprême. Le prolétariat n’avait pas encore assisté à une pareille lessive de linge sale de la classe régnante.
Les dreyfusards et les antidreyfusards ayant si consciencieusement travaillé à démanteler les deux forteresses du Capital, l’armée et la magistrature, croient que l’heure de se reposer va sonner pour eux, comme pour la Justice en marche. Non, mes braves compagnons, votre œuvre n’est pas terminée ; les socialistes vont vous réclamer la morale de l’affaire.
Les dreyfusards ont fait appel à la pitié et à la justice ouvrières ; ils ont demandé aux prolétaires de sacrifier leurs intérêts de classe et d’oublier leurs fils, que par milliers la barbare discipline militaire écrase et que, tous les ans, par centaines, les conseils de guerre condamnent aux compagnies de discipline, au bagne et au peloton d’exécution, pour ne songer et ne se dévouer qu’au salut de ce fils de la bourgeoisie injustement et illégalement condamné. Ils ont demandé aux socialistes de mobiliser les masses ouvrières pour conquérir la rue et la débarrasser des anti-dreyfusards et de leurs jésuites, cercleux et camelots.
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Nous avons des comptes à vous demander, messieurs les dreyfusards, qui croyez que, pour avoir des Droits d’homme et de citoyen, il faut être capitaliste, et qui ne consentez à mettre en ébullition votre bile justiciarde que pour des officiers dorés sur toutes les coutures et ornés de plumes d’autruche.
Les socialistes n’ont pas mis obstacle à votre campagne dreyfusarde, plusieurs d’entre eux vous ont prêté le concours de leur talent et de leur activité ; c’est cette neutralité et ce concours qui vous ont permis de gagner les ouvriers, que vous n’eussiez jamais pu passionner pour une injustice faite à l’un des vôtres, eux qui pour pain quotidien ont l’injustice et l’exploitation.
… Nous réclamons que vous complétiez l’œuvre de vos pères de 1789, que vous abolissiez les conseils de guerre, qui sont des tribunaux d’État, et que vous enleviez du code militaire les monstruosités qui sont en complète contradiction avec votre propre légalité. Si vous ne prêtez pas votre concours aux socialistes pour obtenir ces réformes, vous serez des pitres, plus éhontés que les patriotards et les militaristes, et vous porterez la responsabilité du sang ouvrier et paysan que continuent à verser les conseils de guerre.
Comme les meilleurs passages du Tartuffe, un tel morceau se passe de commentaires. Mais il nous donne des indications précieuses. Et tout d’abord il éclaire singulièrement le manifeste adressé presque aussitôt après « à la France ouvrière et socialiste ».
On connaît l’histoire de ce manifeste. Les socialistes qui ne sont pas dans le secret des royaumes le trouvèrent inopinément dans leur journal un matin, le matin du 14 juillet ; ils ne lurent pas sans étonnement des phrases comme celles-ci :
Il s’agissait d’en finir avec une politique prétendue socialiste, faite de compromissions et de déviations, que depuis longtemps on s’efforçait de substituer à la politique de classe, et par suite révolutionnaire, du prolétariat militant et du parti socialiste.