et d’un médecin, fut conduit, dès son arrivée à Vienne, à l’hôpital militaire et placé dans la section des aliénés.
Un de ses compagnons l’intéressa vivement.
C’était un nommé Bradavska, homme très remuant, très irritable, méprisant le monde, et qui était enfermé depuis plusieurs années déjà, pour indiscipline militaire et insultes à ses chefs. Philosophe, pessimiste, il était intimement convaincu que la vie est une stupidité, que toute la société actuelle est un éternel mensonge et que l’État est une organisation dont le but est le pillage.
Mais il méprisait surtout l’armée et ses représentants et disait franchement et très haut ce qu’il en pensait. Il avait traité les officiers, les juges militaires, les médecins de l’armée, de misérables, qui essayent de se donner des dehors de justice et de loyauté. Il raconta au Dr Skarvan que, pendant les différents interrogatoires qu’il avait subis devant les juges, les chefs, pour que les autres soldats ne pussent pas entendre ses réponses, avaient ordonné de couvrir sa voix par des roulements de tambour. Bradavska avait été mis en prison. Quand on fut las de lui, on l’envoya dans la maison des aliénés, d’où, après trois ou quatre mois, il fut renvoyé pour être de nouveau enfermé en prison.
Témoin de maints faits scandaleux, tant à la prison qu’à l’hôpital, il les raconta à Skarvan.]
Mais ces brutalités ou d’autres du même genre sont fréquentes dans chaque caserne, et il n’est pas étonnant qu’elles existent dans les hôpitaux. Et puisque les armées sont basées sur la violence et la cupidité, peut-on attendre d’elles quelque moralité, quelque bonne foi ? Non. Elles ne peuvent qu’augmenter chez les hommes ce qu’il y a de brutal et de mauvais dans leur nature. On moissonne ce que l’on sème.
[Les médecins de Vienne, n’ayant pu, malgré tous leurs efforts, constater le moindre symptôme de folie chez le Dr Skarvan, firent un rapport dans ce sens, et il fut décidé que Skarvan passerait devant le conseil de guerre. Après quelques temps de prison préventive, il fut conduit devant ses juges.]
Devant une table verte encombrée de nombreux papiers était assis le rapporteur, un lieutenant-colonel ; à sa droite, siégeait le président du conseil, également lieutenant-colonel ; tous les deux avaient revêtu l’uniforme de gala, et leurs visages étaient très graves ; je fus frappé par le regard sans expression du président et par son nez rouge et luisant. Sept juges étaient là, eux aussi en tenue de parade. L’officier qui m’avait accompagné me plaça devant le banc réservé aux accusés, puis s’éloigna. Le silence était profond. Tous se levèrent et on commença la lecture de l’acte d’accusation. Il y était dit que, le 7 février 1889, je ne m’étais pas rendu à l’hôpital où j’étais de service, et que le Dr Weese avait reçu une lettre dans laquelle je l’informais que je ne voulais plus faire mon service et, en général, aucun service militaire.
Or cela, constitue un grand crime contre la discipline militaire, concluait l’acte.
On me demanda si j’avouais ce dont j’étais accusé : je répondis oui, et signai l’acte d’accusation. Le président me dit alors : « Vous avez le droit de dire quelque chose pour votre défense. Parlez. — Je n’ai