Encouragée aux lâchetés momentanément commodes par le silence de M. Bourgeois, de M. Ribot, de M. Poincaré, de M. Barthou, la Chambre avait voté en hâte et pour ainsi dire en vitesse la loi de dessaisissement présentée par le président du conseil ; le Sénat fit une résistance plus solide ; il avait déjà donné une première preuve de sa force en faisant l’élection présidentielle ; il en donna une seconde quand le gouvernement lui apporta le projet de la loi votée par la Chambre.
Non-seulement la bataille au Sénat dura trois longues séances, non-seulement la loi ne fut votée qu’à une faible majorité (158 voix contre 131), mais certains vieux républicains, moins silencieux que leurs jeunes collègues de la Chambre, dirent des paroles dont le retentissement sera plus important que l’effet de la loi même.
Ces vieux républicains appartenaient aux groupes les plus divers de la Haute-Assemblée, comme il convient de nommer ici le Sénat, car il y a des fois où il faut le nommer le Sénat, et des fois où il faut l’appeler la Haute-Assemblée de la République ; M. Maxime Lecomte, M. Girault, M. Bérenger, M. Monis, M. Morellet, M. Waldeck-Rousseau parlèrent contre la loi comme il convenait : simplement, honnêtement, honorablement, fortement. Plus encore cependant que l’incontestable situation politique de M. Waldeck-Rousseau, une certaine sincérité profonde, ancienne, et comme un peu naïve et d’autant plus chère émut dans le discours de M. Bérenger.
« D’autres peuples » ,disait il, « ont un trésor de guerre ; nous avons, nous, ce trésor de paix, de justice et de liberté, et nous avons cette situation, unique dans le monde, que même au milieu de nos plus grands désastres, alors que la fortune et l’avenir même de la France pouvaient paraître menacés, la fidélité à ces principes avait continué à nous conserver la clientèle de cœurs dévoués que nous avons dans le monde.
« C’est notre éternel honneur qu’il n’y a pas aujourd’hui, quelque part que cela puisse être, un opprimé, un homme qui croie avoir à se plaindre des pouvoirs ou des lois de son pays, qui ne tourne avec confiance et espoir ses regards vers la France et qui n’invoque son exemple et son concours. »