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souhaite un bon voyage. Je dîne avec Mlle Tilney aujourd’hui, et je dois rentrer à la maison.

— Eh ! rien ne presse ! Qui sait quand nous nous retrouverons ! Non que je ne doive être de retour vers la fin de la quinzaine, une quinzaine qui me paraîtra diablement longue !

— Alors pourquoi vous absenter si longtemps ? dit Catherine, voyant qu’il attendait une réponse.

— C’est gentil à vous, vraiment, gentil et d’un bon cœur. Je ne suis pas près de l’oublier. Mais vous avez plus de bonté et de tout, que n’importe qui, une part de bonté… colossale. Et ce n’est pas seulement de la bonté, mais vous avez tant, tant de tout ! Vous avez une telle… Sur mon âme ! je ne connais personne comme vous !

— Oh ! il y a beaucoup de gens comme moi, et, j’en suis sûre, un grand nombre qui valent mieux. Au revoir.

— Mais, miss Morland, j’irai à Fullerton vous présenter mes respects avant peu, si je ne vous suis pas désagréable.

— Je vous en prie : mon père et ma mère seront très contents de vous voir.

— Et j’espère, j’espère, miss Morland, que vous ne serez pas ennuyée de me voir.

— Oh ! pas du tout. Il est peu de gens que je sois ennuyée de voir. Il est toujours agréable d’avoir de la compagnie.

— C’est juste ma façon de penser. Que j’aie seulement de gais compagnons, que je sois avec des gens que j’aime, que je sois où il me plaît d’être et avec qui me plaît, au diable le reste, dis-je ! Et je suis extrêmement heureux de vous entendre dire la même chose. Mais j’ai dans l’idée, miss Morland, que vous et moi sommes presque toujours du même avis.

— Peut-être. Je n’ai jamais réfléchi à cela. D’ailleurs, il n’y a pas beaucoup de choses sur lesquelles je connaisse mon propre avis.

— Par Jupiter, c’est comme moi ! Ce n’est pas mon habitude de me casser la tête de choses qui ne me concernent pas. Ma façon de voir est assez simple. Que j’aie la fille que j’aime, dis-je, une maison confortable sur ma tête, et qu’ai-je à m’inquiéter de tout le reste ! La fortune n’est rien. De mon côté, je suis certain d’un bon revenu. Et n’eût-elle pas un penny, eh bien ! tant mieux !

— Sur ce point, je pense comme vous. Si, d’une part, il y a quelque fortune, de l’autre, il n’est pas nécessaire qu’il y en ait. Que ce soit lui ou elle qui soit riche, il n’importe. Je ne comprends pas qu’une grande fortune en cherche une autre ; se marier pour de l’argent me paraît la chose la plus immorale qui soit. Adieu. Nous serons contents de vous voir à Fullerton, quand il vous plaira.

Les galantises de son interlocuteur échouèrent à la retenir plus longtemps. Elle avait hâte d’annoncer les fiançailles de James à Mme Allen et de faire ses préparatifs pour se rendre auprès de Mlle Tilney. Elle partit, et Thorpe resta là, enchanté de sa démarche et de l’encouragement, pour lui ostensible, que lui avait accordé la jeune fille.