— Pas très bonne, je crains. Mais, dites-moi, vraiment, ne trouvez-vous pas Udolphe le livre le plus joli qui soit ?
— Le plus joli ? par quoi vous entendez, je suppose, le plus joliment relié.
— Henry, dit Mlle Tilney, vous êtes très impertinent. Miss Morland, il vous traite absolument comme il traite sa sœur. Toujours il me cherche noise pour quelque incorrection de langage, et voilà qu’il prend avec vous la même liberté. Le mot « joli », employé comme vous avez fait, ne le satisfait pas. Il vaut mieux que vous en choisissiez un autre tout de suite, sinon nous serons écrasées de Johnson et Blair tout le long du chemin.
— Je ne croyais pas dire quelque chose d’inexact. C’est un joli livre. Et pourquoi n’emploierais-je pas ce mot ?
— Très bien, dit Henry, et la journée est très jolie, et nous faisons une très jolie promenade, et vous êtes deux très jolies filles. Oh ! c’est un joli mot, vraiment. Il convient à toutes choses. Aujourd’hui n’importe quel éloge sur n’importe quel sujet est compris dans ce mot.
— Venez, miss Morland ; qu’il médite sur nos fautes, du haut de son érudition, pendant que nous louerons Udolphe dans les termes qu’il nous plaira. C’est un livre des plus intéressants. Vous aimez beaucoup ce genre de lecture ?
— À dire vrai, je n’en aime guère d’autres.
— Vraiment ?
— J’aime aussi les vers ; les pièces de théâtre et les voyages me plaisent assez. Mais l’histoire, la solennelle histoire réelle ne m’intéresse pas. Et vous ?
— J’adore l’histoire.
— Comme je vous envie ! J’en ai lu un peu, par devoir ; mais je n’y vois rien qui ne m’irrite ou ne m’ennuie : des querelles de papes et de rois, des guerres ou des pestes à chaque page, des hommes qui ne valent pas grand’chose, et presque pas de femmes, — c’est très fastidieux ; et parfois je me dis qu’il est surprenant que ce soit si ennuyeux, car une grande partie de tout cela doit être imaginé de toutes pièces. Les paroles mises dans la bouche des héros, leurs pensées, leurs projets, oui, tout cela doit être de pure invention, et ce qui me plaît le plus dans les autres livres, c’est précisément l’invention.
— Vous trouvez, dit Mlle Tilney, que les historiens ne sont pas toujours heureux dans leurs élans de fantaisie et qu’ils déploient de l’imagination sans exciter l’intérêt. Moi, j’adore l’histoire et accepte le faux avec le vrai. Pour les faits essentiels, les sources de renseignements sont les ouvrages antérieurs et les archives. N’est-ce donc rien ? On croit à tant d’autres choses que l’on n’a pas vues soi-même ! Quant aux embellissements dont vous parlez, je les aime comme tels. Si une harangue est bien tournée, je la lis avec plaisir — que m’importe son auteur ? — et sans doute avec un plaisir bien plus vif,