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tés de cette seule remarque, qu’elle intercalait de place en place dans la conversation :

— Vraiment, le général pousse ma patience à bout !

Ce « Vraiment, le général pousse ma patience à bout », elle le proféra deux fois encore, sur le mode irrité, après le départ de M. Allen. À la troisième répétition, elle pensait déjà à autre chose, et la quatrième fut immédiatement suivie d’un :

— Que je vous dise, ma chère, ce terrible accroc à ma plus belle malines a été merveilleusement raccommodé à Bath ; c’est à peine si l’on en voit trace. Il faut que je vous montre cela quelque jour. En somme, Bath est une charmante résidence, Catherine. Je vous assure que cela ne me souriait qu’à moitié de revenir. Les dames Thorpe étaient là : c’était si agréable, n’est-ce pas ? Vous vous en souvenez, nous étions si isolées au début.

— Oui, mais cela ne dura pas longtemps, dit Catherine, les yeux brillants à des ressouvenirs.

— Très vrai ! Nous rencontrâmes bientôt Mme Thorpe, et dès lors nous ne désirâmes plus rien. Ma chère, ne trouvez-vous pas que ces gants sont inusables ? Je les ai mis neufs la première fois que nous sommes allées aux Lower Rooms. Vous savez, je les ai beaucoup portés depuis. Vous souvient-il de cette soirée ?

— Si je m’en souviens ? Oh ! certes !

— Elle fut très agréable, n’est-ce pas ? M. Tilney prit le thé avec nous, et j’ai toujours pensé qu’il nous avait été d’un grand secours. Je crois me souvenir que vous avez dansé avec lui ; mais je n’en suis pas très sûre. Ce que je sais, c’est que j’avais mis ma toilette de prédilection.

Catherine se taisait. Après des tentatives de causerie dans différentes directions, Mme Allen réitéra :

— Vraiment, le général pousse ma patience à bout. Qui eût cru cela d’un homme si imposant ? Je ne crois pas, madame Morland, que vous ayez jamais vu homme mieux élevé. Les appartements qu’il occupait furent loués le lendemain même du jour qu’il les quitta, Catherine. Mais rien d’étonnant à cela : Milsom Street… vous savez !…

Comme elles s’en revenaient à la maison, Mme Morland représenta à sa fille le bonheur qu’il y avait à posséder des amis aussi sûrs que M. et Mme Allen, et le peu d’importance qu’on devait accorder aux méchants procédés de vagues amis comme les Tilney. La bonne opinion et l’affection de ses anciens amis ne lui restaient-elles pas ? Tout cela n’était pas dénué de bon sens. Mais il est tel état d’esprit sur quoi le bon sens n’a pas d’empire, et les sentiments de Catherine étaient en désaccord avec tout ce que disait sa mère. C’était précisément de la conduite de ces vagues amis que dépendait son bonheur, et, tandis que Mme Morland se confirmait dans ses opinions personnelles et les illustrait d’exemples, Catherine pensait qu’ « en ce moment », Henry devait arriver à Northanger, qu’ « en ce moment »,