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Mme Morland n’était pas heureuse dans ses tentatives de consolation. Se revoir dans quelques années… Et Catherine songeait que telle chose pourrait advenir entre temps qui lui fît redouter cette rencontre. Jamais elle ne pourrait oublier Henry Tilney, ou penser à lui avec moins de tendresse ; mais, lui, il pourrait l’oublier, et, alors, rencontrer… Ses yeux étaient en larmes. Mme Morland, constatant le médiocre résultat de ses consolations, proposa, comme moyen de réconfort, une visite à Mme Allen.

Les deux maisons n’étaient distantes l’une de l’autre que d’un quart de mille. Tout en marchant, Mme Morland dit sommairement son avis sur la déception de James :

— Nous sommes tristes pour lui. Mais, d’autre part, que le mariage soit rompu, ce n’est pas un malheur. Il n’y avait pas à se réjouir de ces fiançailles avec une jeune fille que nous connaissions si peu et qui n’avait pas la moindre dot. D’après sa manière d’agir, nous ne pouvons avoir bonne opinion d’elle. En ce moment, le pauvre James souffre, mais cela ne durera pas toujours, et je suis sûre que la sottise de son premier choix l’aura rendu prudent pour toute sa vie.

Cette brève analyse de l’affaire était tout ce que Catherine pouvait supporter. D’autres phrases auraient excédé sa faculté d’attention, et elle eût fort risqué de répondre mal à propos. Elle était absorbée par ses réflexions sur le changement qui s’était fait en elle depuis la dernière fois qu’elle avait parcouru cette route si connue. Il n’y avait pas trois mois, folle de ses espérances, elle faisait ce trajet dix fois par jour, le cœur allègre et libre, escomptant des plaisirs nouveaux. Alors, pas plus qu’elle ne connaissait le malheur, elle ne l’appréhendait. Et maintenant, combien changée !

Elle fut reçue avec joie par les Allen, qui avaient pour elle une profonde amitié. Grande fut leur surprise, ardente leur indignation, à apprendre comment elle avait été traitée, encore que le récit de Mme Morland ne fût pas une peinture outrée ni un savant appel à leur colère.

— Catherine, avait dit Mme Morland, est rentrée à l’improviste hier soir. Elle a fait toute seule le voyage. Samedi soir seulement elle apprit qu’elle devait partir. Car le général Tilney, on ne sait par quelle étrange lubie, fut tout à coup fatigué de la voir là, et il la congédia pour ainsi dire. Cela avec des façons nullement amicales, je vous assure. Et ce doit être un homme bien singulier. Mais nous sommes si heureux d’avoir Catherine parmi nous !… Et c’est un grand soulagement de découvrir, à l’expérience, qu’elle n’est pas une pauvre petite créature sans ressource, qu’elle sait parfaitement se tirer d’affaire.

M. Allen s’exprima, en l’espèce, avec toute l’émotion d’un ami, et Mme Allen, trouvant ses phrases tout à fait au point, les adopta aussitôt pour son usage personnel. L’étonnement, les conjectures et les commentaires de son mari devinrent instantanément siens, agrémen-