Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/474

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fita de la maladresse de M. Sarrien et parla contre la clôture. La discussion continua dans l’équivoque : M. Deschanel s’empressa de mettre aux voix l’amendement de M. Berger qui fut repoussé, puis celui de M. de Mahy qui fut adopté. Finalement la confiance fut refusée au ministère. M. Brisson eut contre lui 286 voix, exactement le nombre de voix qu’il avait eu contre lui lors de l’élection à la présidence de la Chambre.

Mais si ce vote indiquait que M. Brisson ne pouvait rester président du conseil, il n’indiquait pas du tout qui pourrait le remplacer. Quand on vote pour la présidence de la Chambre, 286 voix contre M. Brisson, cela fait 286 voix pour M. Deschanel ; et un président de la Chambre peut, en distribuant avec une savante impartialité les rappels à l’ordre et les invitations à déjeuner, continuer à se concilier les éléments divers d’une coalition hétérogène. Il est plus difficile de gouverner avec une majorité qui va du comte de Mun au général Cluseret, en passant par Ribot et Cavaignac, sans compter les Bischoffsheim et les Drumont.

Si donc M. Félix Faure n’avait eu d’autre souci que de se conformer aux votes de la Chambre, il eût été sans doute assez embarrassé pour choisir un nouveau président du conseil. Il paraît certain que M. Félix Faure a eu d’autres soucis : ces soucis sont assez publiquement connus. Mettons si on le veut bien, pour être poli envers le chef de l’État, qu’un des soucis de M. Félix Faure a dû être d’éviter une crise présidentielle. Mais alors pourquoi M. Félix Faure a-t-il confié à M. Charles Dupuy la mission de former le nouveau ministère ? M. Charles Dupuy a-t-il promis d’appliquer les lois scélérates contre ceux qui soutiendraient que M. Félix Faure est le gendre de Belluot ou le beau-père de Berge, et de poursuivre pour injures à la marine ceux qui parleraient encore de Madagascar ? Ou, au contraire, M. Félix Faure désirerait-il quitter l’Élysée et compte-t-il sur M. Dupuy pour l’y aider ? C’est ce que nous ignorons. M. Charles Dupuy a-t-il simplement trompé M. Félix Faure ? ou espère-t-il liquider le Panama militaire en limitant les responsabilités ? Maintenant que l’on ne peut plus arrêter la révision, l’accepte-t-on pour couvrir la retraite des faussaires ? Il se pourrait en effet que ce fût-là l’idée qui a inspiré ceux qui sont entrés dans le ministère de concentration. Continuer à s’opposer à la révision, malgré l’arrêt de la Cour de Cassation, c’était risquer d’amener une situation révolutionnaire où la victoire ne pourrait rester qu’aux partis avancés de gauche ou à la réaction cléricale et militaire ; c’est ce que M. Ribot semble avoir compris le premier. Il a jugé alors qu’il valait mieux laisser la Cour de Cassation faire son œuvre et écarter ainsi le danger de droite ; mais d’autre part on pouvait chercher à écarter le danger de gauche en coupant en deux le parti révisionniste. Il suffisait pour cela de faire les sacrifices et les concessions particulières nécessaires pour donner satisfaction à la bourgeoisie dreyfusarde : bientôt les révolutionnaires seront seuls à