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NOTES POLITIQUES ET SOCIALES
La Rentrée

On avait le droit d’espérer, pour le jour de la rentrée des Chambres, un grand débat sur l’affaire Dreyfus. Pendant les vacances, on avait obtenu l’aveu et le suicide d’Henry ; M. Cavaignac — l’ennemi providentiel comme l’a appelé Jaurès — avait dû reconnaître qu’il avait fait afficher sur tous les murs un faux légalisé par l’unanimité de la Chambre ; M. Brisson avait envoyé le dossier Dreyfus à la Cour de Cassation. On pouvait s’attendre à voir la Chambre demander des explications à M. Cavaignac qui l’avait trompée et, en tout cas, exprimer nettement son opinion sur l’acte de M. Brisson.

Mais il était évident qu’une discussion nette et franche sur l’affaire ne pouvait tourner qu’à l’avantage des révisionnistes. Aussi l’état-major avait-il résolu de ne pas laisser la discussion suivre son cours : continuant la tactique qui lui avait réussi au procès Zola avec de Pellieux et à la Chambre en juillet avec Cavaignac, il voulut essayer de substituer à un débat approfondi une déclaration retentissante : il fut décidé que le général Chanoine donnerait sa démission devant la Chambre. Et l’on eut ce spectacle singulier d’un ministre de la guerre donnant sa démission par ordre de son état-major. Cette fois, c’était trop : si la Chambre avait cédé, le coup d’État était fait. Un homme aussi peu révolutionnaire que M. Paul Guieysse invita le Gouvernement à prendre des mesures contre les factieux ; M. Cavaignac lui-même dut reconnaître le caractère anormal de la démission qui venait d’être donnée à la tribune. M. Ribot comprit que le devoir ou l’intérêt du parti modéré était de faire l’union des républicains autour de M. Brisson. Il proposa nettement, par un ordre du jour, l’ajournement de la discussion. Cet ordre du jour, affirmant la suprématie du pouvoir civil, rallia l’unanimité des républicains depuis M. Poincaré jusqu’à M. Fournière. M. Brisson restait vainqueur.

Les antirévisionnistes adoptèrent alors une nouvelle tactique : c’était de greffer sur l’ordre du jour de M. Ribot des amendements qui prolongeraient la discussion en l’étranglant et en la faussant. M. Berger déposa un amendement blâmant le gouvernement de n’avoir pas fait respecter l’armée ; M. de Mahy proposa d’inviter le gouvernement à mettre fin à la campagne d’injures organisée contre l’armée. Le gouvernement avait deux attitudes à prendre : il fallait ou demander la clôture sans discuter ou élargir la discussion de manière à forcer la Chambre à juger le gouvernement sur ses actes décisifs. M. Sarrien ne songea qu’à se justifier personnellement : c’était tomber dans le piège. M. Barthou comprit la situation : il pro-