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aimait. En bas, le déjeuner était servi. Elle essaya de manger, autant pour échapper à l’ennui d’en être priée que pour ne pas inquiéter son amie ; mais elle n’avait pas d’appétit. Le contraste qu’elle sentit soudain entre ce déjeuner et celui de la veille, en cette même salle, lui fut une peine nouvelle. Avec quelle quiétude délicieuse — et décevante ! — elle regardait alors autour d’elle, sensible au charme des moindres choses, et sans imaginer que l’avenir pût rien receler de plus fâcheux pour elle qu’une absence de Henry, vingt-quatre heures. Heureux, heureux déjeuner, car Henry était là, Henry était assis auprès d’elle, Henry la servait. Catherine s’abandonna longtemps à ces rêveries, sans que l’en vînt distraire un mot de son amie ; celle-ci était non moins absorbée. Le roulement de la voiture les fit tressaillir et les rappela à la réalité. La voiture était là. Les indignes procédés se matérialisaient : Catherine rougit, et d’abord fut tout ressentiment. Éléonore semblait avoir pris une grande détermination :

— Il faut que vous m’écriviez, Catherine, s’écria-t-elle, que vous me donniez de vos nouvelles le plus vite possible. Jusqu’à ce que je vous sache arrivée chez vous, je n’aurai pas une heure de tranquillité. Coûte que coûte, il faut que j’aie une lettre de vous, que j’aie la satisfaction de vous savoir arrivée sans encombre à Fullerton. Une lettre, — rien de plus, jusqu’à ce que nous puissions nous écrire sans difficulté. Adressez-là chez Lord Longtown, et, pardonnez-moi de vous le demander, sous le couvert d’Alice.

— Non, Éléonore, si vous n’êtes pas autorisée à recevoir une lettre de moi, il vaut mieux que je ne vous écrive pas. J’arriverai, sans aucun doute, saine et sauve à la maison.

— Je n’ai pas le droit de m’étonner de votre réponse. Je n’insisterai pas. Je me remets à votre bon cœur.

Ces paroles et le regard triste qui les accompagna suffirent à fléchir l’orgueil de Catherine, et elle dit aussitôt :

— Oh ! Éléonore, je vous écrirai.

Il était un autre point délicat que Mlle Tilney était soucieuse d’élucider. Peut-être, absente depuis si longtemps, Catherine manquait-elle de l’argent nécessaire aux dépenses du voyage. Une question, affectueusement posée par Éléonore qui s’offrait à arranger les choses, prouva qu’il en était bien ainsi. Jusqu’à ce moment, Catherine n’avait pas songé à ce détail. En examinant le contenu de sa bourse, elle constata que, sans cette prévenance de son amie, elle se serait mise en route sans même l’argent nécessaire au voyage. Le danger qu’elle avait couru emplissait leur pensée à toutes les deux. Elles parlèrent à peine pendant le temps qu’elles demeurèrent encore ensemble. Du reste, ce temps fut court. On vint annoncer que tout était prêt pour le départ. Catherine se leva aussitôt. Leur adieu fut un long, un affectueux, un silencieux embrassement.

Comme elles entraient dans le vestibule, Catherine, incapable de quitter cette maison sans un mot pour celui dont ni l’une ni l’au-