Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Éléonore et, sans doute, des autres enfants, tout favorisait l’hypothèse d’un emprisonnement. Le motif ? — la jalousie peut-être, ou une gratuite cruauté : cela était à élucider.

Tandis qu’elle ressassait en son esprit ces choses et se déshabillait, elle songea soudain qu’il était bien possible qu’elle eût, le matin même, passé près du lieu où cette femme infortunée était retenue prisonnière, passé à quelques pas de la cellule où la captive languissait ses jours. Quelle partie de l’abbaye était plus idoine à ces fins que celle où subsistaient les vestiges monastiques ? Dans le corridor dallé et haut voûté où elle avait éprouvé comme une douleur, il était des portes, elle s’en souvenait, dont le général ne lui avait point donné l’explication. Sur quoi ces portes étaient-elles closes ? La galerie interdite où étaient les appartements de l’infortunée Mme Tilney devait être, si Catherine s’orientait bien, exactement au-dessus de cette rangée de cellules suspectes, et l’escalier qu’elle avait entrevu et qui devait communiquer secrètement avec ces cellules avait pu faciliter l’œuvre barbare du général. Peut-être par cet escalier avait-on descendu la victime savamment insensibilisée.

Catherine s’effrayait, par moments, de l’audace de ses conjectures, craignait ou espérait avoir été trop loin. Mais ne s’appuyaient-elles pas sur des indices qui les authentiquaient ?

Le côté de la cour où elle supposait qu’avait dû se passer la scène du crime étant en face de celui qu’elle habitait, elle pensa qu’en faisant le guet elle pourrait apercevoir la lueur de la lampe du général à travers les fenêtres intérieures, alors qu’il se dirigerait vers la geôle de sa femme. Par deux fois, avant de se mettre au lit, elle se glissa furtive hors de sa chambre vers une fenêtre de la galerie. Mais autour d’elle tout était obscur. Il était trop tôt encore. Divers bruits qui montaient la convainquirent que les domestiques étaient encore debout. Elle supposa que jusqu’à minuit il était inutile de rester en alerte. Mais à ce moment-là, quand l’horloge aurait sonné douze et que tout serait silencieux, si elle n’était pas déconcertée par l’obscurité de la nuit, elle sortirait à pas de loup et regarderait encore. L’horloge sonna minuit. Catherine dormait depuis une demi-heure.


XXIV


Aucune occasion de visiter les appartements mystérieux ne s’offrit le lendemain. C’était un dimanche. Tout le temps qui s’écoula entre l’office du matin et celui de l’après-midi fut consacré, selon la volonté du général, à prendre de l’exercice au dehors et à manger des viandes froides à la maison. Or, Catherine, dont le courage n’égalait pas la curiosité, ne se souciait d’une exploration à la lumière périssante du soleil de sept heures ou à la clarté, plus forte, mais circonscrite d’une perfide lampe. Et rien, ce jour-là, ne frappa son imagination, sauf, à l’église, un monument érigé à la mémoire de Mme Tilney, en face du