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vait y mettre des chapeaux et des bonnets. Le pis est qu’on ne l’ouvre pas facilement. Du moins, dans ce coin, il n’encombre pas.

Catherine, impuissante à proférer une syllabe, rougissait, agrafait sa robe et prenait de sages résolutions. Mlle Tilney exprima doucement sa crainte d’un retard. En une demi-minute elles descendirent l’escalier, et leur crainte était assez fondée, car le général arpentait le salon, sa montre à la main. Au moment où elles entraient, il agita la sonnette et ordonna :

— Que le dîner soit sur la table immédiatement !

Ce ton impérieux troubla Catherine. Elle restait là, pâle et haletante, inquiète pour Éléonore et Henry, et pleine de détestation pour les vieux coffres. Le général, dès qu’il l’eut regardée, récupéra sa politesse et, en conséquence, se mit à gourmander sa fille : « Elle avait harcelé Catherine et l’avait mise hors d’haleine alors qu’il n’y avait nulle raison de tant se hâter. » Catherine ne put se consoler de cette réprimande inopportune que lorsque, tous bien installés à table, le général arbora un sourire débonnaire et qu’elle sentit s’aiguiser son appétit de voyageuse.

La salle à manger était une pièce plus grande encore que le salon. Son luxe emphatique échappait à l’observation peu exercée de Catherine, qui remarquait surtout sa vastitude et le nombre des serviteurs. Elle exprima son admiration de tant d’espace. Sur quoi, le général, l’air très gracieux, convint que la salle n’était pas par trop petite : il avoua ensuite que, si peu soucieux qu’il fût de ces choses, il considérait une grande salle à manger comme indispensable. Du reste, il supposait qu’elle avait accoutumé de voir, chez les Allen, des pièces bien plus spacieuses encore…

— Point du tout, dit Catherine.

Et elle exposa que la salle à manger de M. Allen, était plus petite de moitié. De sa vie elle n’avait vu une pièce aussi grande. La bonne humeur du général s’accentua. Voilà : comme il avait, lui, de telles pièces, il pensait que le plus simple était qu’il s’en servît : mais, sur son honneur, il croyait que les pièces plus petites de moitié devaient être plus confortables. La maison de M. Allen, il en était sûr, était à souhait.

La soirée s’écoula sans émotion nouvelle et, le général ayant été appelé au-dehors, avec plus de franche gaieté. C’est seulement en sa présence que Catherine ressentait de son voyage une légère fatigue. Mais, même alors, même dans les moments de contrainte, elle éprouvait une sensation de plénitude, et pouvait penser à ses amis de Bath sans souhaiter être auprès d’eux.

La nuit fut orageuse. Durant l’après-midi, le vent avait soufflé par intervalles. À l’heure où se séparèrent les Tilney et Catherine, il ventait et pleuvait avec violence. Comme elle traversait le vestibule, elle entendit le bruit des bourrasques et devint attentive. Au lointain des bâtiments, une porte claqua. Catherine, pour la première fois, sentit qu’elle était dans une abbaye. Oui, c’étaient là les bruits caracté-