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III
L’EMPEREUR À M. JAURÈS
28 décembre 1897.

M. Jaurès, il faut se décider à me servir ou renoncer. Je n’aime point les tergiversations ni les choses à demi faites. Les mauvais meneurs gâtent suffisamment leur état, pour que nous n’attendions plus. Il faut profiter du malaise ressenti par les militaires à propos de cette affaire Dreyfus, de la résurrection du Panama, et de l’effervescence que va produire l’ouverture de la période électorale. Les « Pourris » que conduisait M. Barras n’étaient point en plus mauvaise posture que les opportunistes actuels, lorsque M. le prince de Bénévent me fit tenir en Égypte un exposé de la situation qui m’invitait à revenir précipitamment. Les Cinq-Cents avaient même plus d’appui dans Paris que n’en trouveraient les députés de M. Méline ; et sauf mon frère Lucien, je ne possédais pas dans cette assemblée les éléments favorables que vous offrent les radicaux-socialistes. Il faut faire le 18 Ventôse.

Voici ce que j’ai résolu.

Au premier tour de scrutin pour les élections législatives de 1898, le dimanche, tous les membres des syndicats se réuniront en uniforme devant leur local. Ils se rendront à la gare la plus proche, par petits groupes, sous allure de manifestation électorale, et s’embarqueront ; les employés de chemin de fer, qui sont des nôtres, ayant fait évacuer les trains de passage par les voyageurs. Les quatre points de ralliement sont Marseille, Boulogne-sur-Mer, Nîmes, et Paris.

Dans les deux premières villes des navires américains accosteront le port lorsque nos troupes y seront parvenues, et y débarqueront les armes, les pièces d’artillerie, les munitions, les subsistances. Il s’agit donc de préparer très sérieusement l’occupation de ces deux ports, pour ce jour-là.

Une fois équipées à Marseille, les troupes socialistes du Sud remonteront la rive droite du Rhône en ayant soin de s’y maintenir, les comités locaux ayant fait sauter les ponts afin de les préserver contre les divisions capitalistes de la frontière italienne, d’ailleurs retenues en observation par le mouvement que feront les socialistes italiens à la même date pour gagner Genève, le lieu de concentration générale, mouvement qui sera dissimulé sous les apparences d’une manifestation patriotique italienne.

Une fois équipées à Paris, les troupes socialistes du Centre se retireront sur Amiens, Arras, et Boulogne, où elles recevront leurs armes, leurs fournitures, leur équipement. Elles feront par Calais et Dunkerque leur jonction avec les troupes socialistes belges et hollandaises pour descendre ensuite par les Ardennes jusque Lyon et Genève. Les divisions capitalistes de la frontière de l’Est seront aussi retenues en observation, par le mouvement que feront les socialistes allemands vers la même date, dans le but de gagner Genève, mouve-