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L’amour. — Rien ne résiste que les choses qui sont posées sur le vide… Ainsi voyez le globe.

La peur. — J’ai monté l’escalier chimérique d’où on ne redescend plus.

L’amour. — Vous avez gravi l’échelle des sphères comme le compas d’un astrologue. Ce n’est pas nouveau, mais, vous l’avez fait sans vous en douter, car c’est un pou trop logique pour vous.

La peur. — J’ai gravi… comme le compas d’un astrologue ? Vous n’allez pas me dire que j’ai les jambes maigres, peut-être ! Laissez-moi poursuivre mon récit.

L’amour. — Eh !… Poursuivez, Madame. Moi, je me repose en vous attendant au but, car je suis fort paresseux. Bonsoir.

La peur. — C’est dans votre corridor de malheur que j’eus un avant-goût de la mort ! L’hermétique porte une fois ouverte (celle-là n’avait point de serrure, seulement un heurtoir de cuivre, et elle s’ouvrit comme fondant sous les coups répétés), je suis entrée, serrant les lèvres et les narines pour ne pas aspirer l’air d’une maison maudite. En même temps que moi pénétrait un chien. Je ne sais quel chien. Il avait plus peur que son maître (j’étais son maître, puisqu’il me suivait aveuglément jusqu’ici), il se collait contre mes jupes, il léchait mes mains et les rendait humides sous l’angoisse de sa langue presque froide. J’avais envie de le tuer ou de le saisir affectueusement dans mes bras pour le supplier de ne pas me quitter. C’était un bon chien ; il ne grondait pas, tout en flairant les choses suspectes de cette demeure. Il aurait dû gronder. Le cri d’un animal m’aurait certainement rappelée aux sentiments naturels. Et on ne peut que se laisser aller aux sentiments surnaturels, puisqu’ils sont en dehors de nous. Je sentais bien que la fidélité d’un chien ne peut balancer la douceur des ailes de l’inconnu, qui sont membraneuses. Il ne fallait pas me dire que dans le noir il y a des yeux humains, et que l’infini est une pupille ; il ne fallait pas me dire que des yeux terminent en oiseaux noirs le réseau des nerfs humains, cet arbre éclaboussant la nuit de ses ramifications électriques, et dont le test d’une fulgurite serait le miroir mort. Je suis maintenant dans un pays où les chiens tremblent sans oser aboyer. Au fond du corridor gire un escalier pâle. Les marches rechignent à la lumière. Ce doit être un escalier qui mord. Il va se refermer sous mes pieds, me happer les pieds. Je ne monterai pas. Et je monte ! Le chien m’abandonne, je devine bien qu’il recule devant les dents mortuaires de l’escalier. Je monte en tournant, mais ce n’est pas moi qui tourne, c’est la spirale pâle. Elle a le mouvement lent et très vertigineux d’un navire énorme secoué par la mer. Mon cœur me manque à chaque marche et je retrouve mon cœur dès que je lui tourne le dos. Je dois tourner autour de mon cœur. Il est on ne sait quel bec de gaz au milieu de la cage de l’escalier pâle. Il fait cette lumière que je ne vois point. Nouvelle porte. Oh !… Celle-ci est jolie. Elle est toute transparente, en améthyste claire, d’un violet rose. C’est peut-être un simple vitrail. Elle est scellée