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L’amour. — Autre effraction, puisque vous n’y croyez point.

La peur. — Je n’y crois pas… mais j’en ai peur, cela me réconforte.

L’amour. — Absurde. Absurde. Absolu. Absolu.

La peur. — Je suis arrivée chez toi ou par l’absurde ou par l’absolu, cela importe peu si je suis arrivée. Mais je commence à croire que je deviens l’errante d’un mauvais rêve. Ta demeure n’existe pas et, toi-même, tu es une chimère.

L’amour. — Rien n’est chimérique ici. Vous pouvez toucher tout ce qui m’appartient. Vous pouvez le toucher, à la condition de ne pas l’emporter, car, vraisemblablement, cela ne vous appartient pas.

La peur. — … J’ai cherché Dieu, oui, et j’ai trouvé, très là-haut, dans le ciel, ou dans le plafond de cette allée qui coulait comme le torrent d’un gouffre, une espèce de clarté d’eau. En sorte qu’il y avait deux torrents à franchir, l’un avec les pieds, l’autre avec la tête. Et ce mur inexplicable, ce haut mur de cimetière continuait, formant un angle…

L’amour. — L’angle d’éternité.

La peur. — Vous avez l’air d’ignorer comment cela se passe chez vous. Écoutez-moi donc sérieusement.

L’amour. — Je m’occupe très peu des bagatelles de ma porte.

La peur. — Vous avez tort. C’est effrayant.

L’amour. — Continuez donc à perdre votre temps. Le mien est désormais fixé par la troisième aiguille.

La peur. — Sur ma tête, la clarté d’eau diminuait et, à mes pieds, de la boue augmentait. Je marchais dans une vase aux relents de musc. Des sorcières viennent, la nuit, vider leurs eaux de toilette sous la fenêtre des jeunes hommes. Des sorcières qui écrasent dans leurs mains, rouges de sang, des cervelles de rats musqués en guise de savon. Une bouillie infâme. Tout à coup l’eau claire du ciel fila entre deux toitures et disparut, charriant des étoiles, toutes les étoiles. Il n’y eut plus de liberté, mes pieds s’enracinèrent au sol. Vous savez, sans doute que la liberté cesse quand les étoiles tombent ?

L’amour. — … Toile tombe. Parfaitement.

La peur. — J’étais devant une autre porte plus hermétique encore. Deux marches, dont la première manquait

L’amour. — Dont la première… Et sur quoi reposait la seconde, Madame ?

La peur. — Sur rien. On savait qu’il y avait eu une première marche parce que la place restait brèche. Et la seconde vous mène cependant à un seuil ! Peut-être bien que ce trou de la première marche était un soupirail, un jour de cave…

L’amour. — Et de souffrance, j’entends.

La peur. — Je n’ai pas cru cela tout de suite. On ne croit que ce qui vous fait plaisir. Au bout d’une heure et d’une année, j’ai posé le bout du pied sur cette seconde marche et l’ai sentie résistante.