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travailleurs piémontais, des éleveurs normands qui demandent un droit de 200 francs applicable à tout cheval venu d’outre-mer, ce patriotisme régional des petits cultivateurs élisant des députés avec la seule mission de fermer aux céréales exotiques les marchés de France, tous ces appétits misérables soutiendront jusqu’au bout la théorie de « la France aux Français », jusqu’au bout de ses pires conséquences. Les juifs pâtiront d’abord, eux qui tentent la fusion des intérêts nationaux en un seul intérêt cosmopolite, au bénéfice de la paix universelle. L’esprit de guerre l’emporterait avec le patriotisme, le fédéralisme, et l’idolâtrie du militaire. Force alors serait aux israélites de quitter l’Europe, de se réfugier sur quelque territoire d’Orient, Syrie ou Palestine, d’y reconstituer le royaume de Salomon, puissant par sa marine et son or. Tyr et Sidon devraient renaître. Chassés d’Autriche, de Russie, de France, ces Juifs seraient contraints de se créer une nationalité particulière. L’histoire s’intéresserait à l’aventure. Après dix-huit siècles de dispersion sur la Terre Promise que l’enrichit matériellement et mentalement, le peuple de Moïse regagnerait soudain l’ombre ancienne de ses tentes. Quelle formidable marine son or pourrait d’un coup acquérir ! Quels chemins de fer centre asiatique créerait-il, unissant Tyr à la rive chinoise du Petchili ? Quelle nouvelle mission de fiancer l’Extrême Asie au lac Méditerranéen ! C’est peut-être dans ce but que le Moteur de l’Univers prépare la dernière persécution dont l’œuvre de vos tribus semble être de lier les races, et de nouer leurs destins, par une œuvre philosophale.

M. de Rothschild, il faut songer à cela ; et comprendre la nécessité prochaine de la fondation d’une république juive. Votre souci serait alors d’attirer sur le territoire choisi le plus de producteurs industriels en y établissant des lois inspirées par les théories communistes, en y préparant au travailleur le meilleur sort qu’il puisse trouver par le monde.

L’or permettrait la réalisation soudaine d’un formidable état capable d’acheter aussitôt l’outillage parfait, de le mettre aux mains d’hommes qui désireraient défendre au prix de la vie la seule patrie favorable à la liberté sociale. L’or, le travail et la science unis dans un même but d’harmonie fraternelle étonneraient l’esprit barbare du vieux monde qui n’aurait plus qu’à se répudier, honteux de soi-même, devant cet exemple. Quel que soit le sol élu pour ce retour à l’hégémonie de la fraternité humaine, la Palestine, la Syrie ou l’Égypte, Madagascar ou l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou Bornéo, Haï-Nan ou la Chine Méridionale réclamée tardivement par la France au partage de l’Empire Céleste, il faut bien convenir, d’abord, que la race sémite seule n’y pourrait agir sans le secours des producteurs industriels, des savants et des lettrés ; ces trois classes d’hommes épris de la vérité affirmant l’inutile barbarie de militarisme et des guerres en un temps où les religions se fondent avec les littératures et les formes du savoir humain, dans des langues qui s’unifient, plei-