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Sur ce je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.

N.


XXXV
L’EMPEREUR À M. DE ROTHSCHILD

M. de Rothschild, vos plaintes ne me touchent guère. Si vous aviez montré plus d’énergie, la mise en scène des antisémites, au Palais de Justice, n’eut pas eu le même succès. À présent il faut s’attendre à tout. Que les ralliés et le gouvernement triomphent aux élections, et l’armée, s’appuyant, par snobisme, sur l’Église, facilite un nouveau Seize Mai qui, cette fois, pourrait nuire. Jusqu’à présent vous aviez tenu le Pouvoir à votre merci. Il faut vous décider à lui devenir adversaire, et à marcher la main dans celle des socialistes. Résignez-vous. Employez vos capitaux en Chine. Couvrez de chemins de fer ce pays qu’habitent quatre cent millions d’hommes industrieux ; formez les compagnies de colonisation ; et vous aurez, vous et vos amis, récupéré vite ce que vous ferait perdre ici le mécontentement des grands chefs militaires. Ils se croient les maîtres. Avoir brandi leurs cannes dans la salle des Pas-Perdus, cela les travestit en héros enivrés d’Austerlitz, d’Iéna, de Friedland. Les vainqueurs de Fourmies peuvent très bien commander demain, si l’on ne parvient à y mettre bon ordre. Que feriez-vous, au mois de mai, devant une Chambre dont la majorité serait évidemment réactionnaire, antisémite et militaire, et dont la très grosse minorité serait socialiste, si vous ne vous appuyez à l’une ou l’autre faction ? Que l’antisémitisme triomphe à Paris comme à Vienne, comme en Russie, et que les gouvernements favorisent l’émeute contre le capital juif, il ne vous restera plus, si l’Internationalisme ne l’emporte pas dans le Lyonnais, et en Hollande, qu’à vous jeter aux bras des Sionistes et chercher une terre d’exil. Imaginez le succès prochain de ceux qui disent : « La France aux Français » c’est-à-dire : « La Flandre aux Flamands, la Picardie aux Picards, la Normandie aux Normands, la Bretagne aux Bretons, la Vendée aux Vendéens, la Provence aux Provençaux, la Touraine aux Tourangeaux, la Savoie aux Savoyards, etc… » Ils ne veulent pas entendre que notre nationalité date seulement de 1792 et qu’elle réside dans la seule idée alors enthousiaste de la Liberté républicaine. Nous ne sommes pas, à l’exemple des Germains, 76 millions d’hommes de même race et parlant le même dialecte, mais un assemblage de Celtes, de Latins, d’Ibères, de Saxons, de Germains, voire d’Arabes et de Scandinaves. La patrie française naquit de la liberté sociale, après avoir vécu de loyalisme envers les rois. Si cette idée de liberté tolérante vient à rien ; si les querelles séparatistes et religieuses renaissent, le lien de la royauté héréditaire s’étant rompu en 1793, en 1830 et en 1848, la patrie se désagrégera, s’émiettera dans un fédéralisme incohérent. L’exclusivisme retors et simpliste des bouilleurs de crû, en concurrence avec l’alcool étranger ; celui des maçons limousins rivaux des