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d’être inquiétés dans leur commerce ? Il faut avouer, M. Méline. En quelques jours soixante-dix mille exemplaires de Paris ont été achetés par le public. Où trouver cette réprobation générale dont M. Zola devait pâtir, à en croire les embrasseurs de M. Esterhazy ? L’intelligence du monde se dresse contre les boucliers et les militaires. La Presse étrangère crie à la honte de la France. Toute la civilisation s’indigne. L’Europe s’ameute. Quelle ignominie effroyable devez-vous donc cacher ? Faut-il ajouter foi à ceux qui prétendent que Dreyfus est le Baïhaut d’un complot de trahison où se trouveraient compromis sept ou huit officiers supérieurs, séduits par les boucles d’une courtisane aux gages de la Triplice ? Vous n’oseriez point dès lors, offrir la vérité parce que la moitié du grand état-major serait pris en flagrant délit d’imprudence utile à l’ennemi. Faut-il croire ceux qui prétendent qu’Esterhazy, menacé par une échéance, fabriqua le bordereau afin de tirer du ministère une somme promise à qui découvrirait l’origine des fuites ? Sur la foi de ce bordereau apocryphe, né d’une « carotte de collégien », Dreyfus, dont l’écriture s’apparente à celle déguisée d’Esterhazy, aurait été condamné hâtivement. Et aujourd’hui, plutôt que d’avouer le ridicule de leur erreur, les généraux laissent Dreyfus devenir fou à l’île du Diable ; ils susciteraient l’émeute. Je n’aime point toute cette rapsodie. Parlez net. Il me semble que devant l’émotion de l’Europe et l’indignation du monde idéologue, on ne doit pas agir de fantaisie.


XXXII
LE MAJOR-GÉNÉRAL À M. HANOTAUX

C’est une véritable armée, Monsieur le Ministre, que S. M. la reine d’Angleterre envoie dans le haut Lagos, dans la Sierra Leone, sur le cours du Niger. Chaque navire quittant Liverpool emporte des vivres, des munitions, des armes, des officiers, des médicaments, des chirurgiens. L’Empereur désire que je mette à la disposition de Votre Excellence le nécessaire en hommes et en matériel. S. M. s’étonne que les expéditions françaises sur le Niger ne soient point renforcées comme les expéditions anglaises. Elle craint que vous ne vous laissiez une fois de plus leurrer par le Foreign Office, comme vous le fûtes par le Sultan, S. M. le Tzar, et l’Empereur d’Allemagne. S. M. souhaite que tout en préparant votre discours de réception à l’Académie, vous évitiez de perdre le Soudan comme un autre académicien, M. de Freycinet perdit l’Egypte.

Le Major général, prince
de Neuchâtel

(Correspondance réunie par Paul Adam.)

— à suivre —