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dont il veut écarter les contacts impurs. Son adversaire naturel est le juif, et aujourd’hui c’est Israël qui devient bouc émissaire. Pour lui, c’est la faute au libéralisme si les instincts de décadence ont pénétré le pays. Or, un antisémite pur sang ne distingue pas entre libéralisme et judaïsme. Le libéralisme est judaïque, le judaïsme est libéral.

En effet, le libéralisme n’est pas d’essence germanique. Le Juif, reconnaissant à la Révolution de son émancipation, s’est fait en Allemagne le porte-paroles des idées de 1789.

La presse libérale est presque entièrement aux mains des juifs. Son œuvre a été l’émancipation, commencée en 1848, conquise définitivement en 1869. Mais elle n’a pas seulement travaillé pour sa race. Toutes les doctrines libérales, tant politiques qu’économiques, ont pénétré par elle en Allemagne. Évidemment, il n’y a pas à comparer le libéralisme allemand avec le nôtre. Il a dû s’accommoder de l’autoritarisme existant ; sauf en 1848, il ne l’a jamais attaqué de face, il l’a tourné ou plutôt pénétré. Dès 1870, Bismarck s’est trouvé en présence d’une puissance insaisissable qu’il n’a pas un seul instant essayé de briser. D’ailleurs cette puissance n’attaquait pas, mais s’offrait ; il a accepté l’alliance. Le parti national-libéral, qui comptait dans ses rangs quelques juifs très puissants (Lasker et Bamberger), s’organisa formidablement sous l’action de la presse juive.

Le Cartel, qui fut la base parlementaire de Bismarck, en résulta, et c’est appuyé sur lui qu’il put tenir tête au centre catholique. Le Kulturkampf fut l’œuvre de la presse libérale autant que du chancelier. Tous deux ici agirent d’accord, poursuivant des buts différents. Bismarck fut, dans ce combat, un libéral malgré lui : c’est par crainte de voir l’absolutisme impérial entamé qu’il s’attaqua à un parti qui prenait son mot d’ordre à Rome ; c’est par crainte de la tyrannie cléricale, par le sentiment du danger qui menaçait la liberté de conscience, que la presse libérale prêta son concours absolu à Bismarck dans cette circonstance. À ce propos, l’attitude du chancelier dans la question juive est bien nette ; il prononça cette parole caractéristique : « Il faut que la recherche de la confession soit interdite. »

Bismarck avait, en 1848, les préjugés du junker. Il a su, depuis, vaincre ses répugnances. Il a enfin reconnu qu’entre les ultramontains et les juifs allemands, c’étaient les premiers seuls qui constituaient un péril d’État, et il a réservé pour eux ses sévérités.

Évidemment, l’homme du « do ut des » ne pouvait partager les fureurs d’un Stœcker, d’un Boeckel et d’un Liebermann contre des gens qui n’attaquaient pas, mais qui voulaient servir.

Bleichrœder fut le grand levier de sa politique financière et il écouta les inspirations de son voisin de campagne et ami, Ferdinand Lassalle, dont l’influence posthume se manifesta dans les lois d’assurance sociale de 1883 et 1884.

Ce qui caractérise en effet le judaïsme allemand, c’est qu’on le retrouve aux deux extrémités du domaine économique. Si par ses apôtres socialistes, Marx, Lassalle, Singer, Liebknecht, il a fortement