Page:La Revue blanche, t15, 1898.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renvoyer les juifs en Palestine qu’à nous de renvoyer nos Normands aux fjords de la Scandinavie, leur patrie primitive.

Le parti politique est autrement agressif.

Le pasteur Stœcker est le modèle le plus parfait de l’antisémite actif. Jusqu’en ces dernières années, il fut le prédicateur de la cour et le chef du parti socialiste chrétien. Fermement attaché au trône, il a trouvé parmi les conservateurs les éléments de son parti. Il en a fait une arme à deux tranchants pour combattre le socialisme démocratique sur son propre terrain et frapper en même temps le juif.

Le pasteur Stœcker s’accommoderait peut-être du collectivisme pris en lui-même, mais il est mis en défiance par son caractère laïque et international. Il flaire là-dedans l’action juive. Et peut-être n’a-t-il pas tort, mais, à notre point de vue, c’est tout à l’honneur des juifs. Pour ne pas laisser la question sociale entre leurs mains, il s’en est emparé, il a cherché à l’enfermer dans la règle de fer du protestantisme orthodoxe et à lui donner un caractère confessionnel. Une fois maîtres du socialisme, en avant pour la « Judenhetze », chasse aux juifs. « Vraiment ils sont trop », dit-il un jour en réunion publique, par allusion aux 500,000 Israélites de l’Allemagne. Parole qui fit, en son temps, couler des flots d’encre.

Donc : Pille ! Pille ! Tue ! Tue ! M. Stœcker ne s’en est jamais caché : « L’antisémitisme triomphera par la révolution ; il faut soulever le peuple contre les juifs ; il faut une révolution, et elle viendra, soyez-en sûr, c’est mathématique. »

Naturellement, un allié aussi compromettant devenait dangereux. L’empereur l’a écarté, en 1896, en lui enlevant son poste de prédicateur à la cour. Depuis, à côté de l’ancien, s’est créé un jeune parti socialiste-chrétien, sous la direction du pasteur Naumann, qui paraît être persona grata en cour. Cette nouvelle fraction du Reichstag considère qu’il n’y a pas d’autre question sociale que les questions du travail, et nie absolument qu’il existe une question juive.

Le parti antisémite proprement dit n’a pas la férocité du pasteur Stœcker. Il s’intitule « parti de la réforme sociale allemande ». Il s’est formé au congrès d’Eisenach, en 1894, de la fusion du parti antisémitique populaire (Antisemitisches Volkspartei) et du parti social allemand. En fait, la réunion n’offrit aucune difficulté, parce que les deux partis se distinguaient seulement par leur tactique.

On a trouvé un terrain neutre où se rencontrent les hommes venus des camps les plus opposés. La formule magique est : réforme sociale et renaissance nationale.

Ce parti entreprend la guerre contre tout ce qui fait la grandeur et la misère du xixe siècle : la grande industrie, la finance, le mercantilisme, les doctrines économiques d’Outre-Manche. On pourrait croire que son programme est celui du socialisme, il n’en est rien. Il fait face à la fois aux ploutocrates et aux démocrates socialistes, et s’adresse à la classe moyenne. Il se constitue, à l’encontre des uns et des autres, le gardien jaloux des traditions nationales et de la race