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gion laïque née en 1807 en Prusse, sous Stein et Hardenberg, et devenue aujourd’hui culte définitif. Les croyants ont pour dogme que la nation allemande est un tout homogène développé d’une façon continue à travers les temps. Pour eux, les bons bourgeois de Francfort ou de Hambourg sont les descendants directs et sans mélange des adorateurs de Wotan. Vues historiques fausses ou faussées à dessein afin de donner une base plus solide au nationalisme allemand. Pour y croire, il faut oublier les pénétrations sanglantes qui se sont faites de peuple à peuple et les coulées de nomades autres que les juifs, et moins soucieux de conserver leur individualité, qui ont singulièrement gâté le germanisme des premiers âges.

Avec cette théorie de l’évolution homogène des peuples, les générations d’une même nation sont solidaires entre elles. La France de 1870 fut rendue responsable d’Iéna, de la campagne du Palatinat, etc.

Iéna est vengé, mais il se pourrait bien quelque jour que la fantaisie prît à un de ces Teutons gallophobes de rappeler qu’il reste encore à venger la mort de Conradin de Hohenstaufen, décapité à Naples par les Angevins en 1269. On voit où peut mener la manie ethnologique.

Le même systématisme, qui affirme la prééminence du Germain sur le Latin, a créé en Allemagne le péril sémite. Les adversaires les plus acharnés de notre race, ceux qui ont inventé « l’ennemi héréditaire », les Savigny, les Dühring, les Treitschke, se retrouvent au premier rang parmi les adversaires théoriques du juif. Je dis théoriques, parce qu’il faut absolument distinguer, en Allemagne, entre l’antisémitisme considéré comme opinion et le parti actif.

L’antisémite théorique se borne à gémir sur les influences judaïques qui gâtent les mœurs allemandes, la pensée allemande, l’art allemand…, et le christianisme allemand. Et ici la folie de l’ethnos se donne libre cours.

La conception juive du monde est, paraît-il, inassociable avec la conception germanique. C’est là le fond de la querelle du christianisme et du judaïsme. Mais, dira-t-on, la conception chrétienne est issue de la conception sémite ; le christianisme n’est qu’un judaïsme prolongé. Dühring et Nietzsche, avec une logique parfaite, déclarent la guerre aux deux. Mais ceux qui ont des sentiments chrétiens ne s’embarrassent pas pour si peu. Pour eux, Jésus, en prêchant l’Évangile, chantait la « Marseillaise » de l’antisémitisme. Comme toute religion, le christianisme, au cours des siècles, s’est modifié. Le christianisme primitif a été déplacé par le christianisme judaïque de saint Paul. Mais le principe originel était aryen, autrement dit indo-germanique, germanique. Sans doute, Jésus fut un aryen égaré parmi des sémites. Sans doute Dieu, s’incarnant dans la forme aryenne, voulut manifester que son « peuple élu » n’était plus Israël, mais la race indo-germanique, ancestrale du pasteur Stœcker.

L’antisémite théorique préconise les mesures prophylactiques, mais il ne va pas jusqu’à la persécution, et il lui semble aussi absurde de