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découvre dans un barrage de la Theiss le cadavre d’une jeune fille, qui est immédiatement reconnu comme étant celui de la personne disparue : pas de traces de violences, il faut conclure à la mort par accident. Les accusateurs ne veulent pas se dédire, la justice ne veut pas reconnaître qu’elle s’est trompée, et ici recommence une procédure plus odieuse encore que la première ; il faut contraindre les bateliers qui ont trouvé le cadavre à avouer qu’il leur a été remis par les juifs avec ordre de déclarer qu’ils l’ont trouvé dans les eaux de la Theiss. Pour les faire déposer dans le sens voulu, on les torture épouvantablement. Ils avouent tous, sauf un dont M. Cherbuliez nous a retracé éloquemment l’obstination héroïque. Ces pauvres gens, d’ailleurs, rentrés dans leur village, vont immédiatement récuser devant leur bourgmestre les déclarations qu’ils ont faites au tribunal. Mais enfin, il fallut bien que la justice eût raison à l’encontre même des juges.

Le fanatisme, en Autriche, n’a pas décru depuis l’affaire de Tisza-Eslar. Tout récemment, il y a un mois à peine, Théodor Herzl, un des promoteurs du Sionisme, donnait au Carl-Theater de Vienne un drame douloureux et symptomatique : « Le Nouveau Ghetto ». Il reproche à l’Autriche d’avoir maintenu les juifs enfermés dans un ghetto moral, alors que les murs de pierre du ghetto sont tombés.

On comprend, en présence d’un pareil débordement de haines, que quelques juifs, découragés, aient pensé à fuir une patrie marâtre et à rassembler leurs frères en Galilée ou ailleurs, puisque le pays où ils vivent depuis des siècles se refuse à les reconnaître pour ses enfants. Telle fut l’idée première du Sionisme. Il a trouvé quelques adhérents parmi les juifs de Hongrie et de Russie, chez ceux qui sont demeurés fidèles observateurs du Talmud, resté pour eux la loi nationale, mais il a été accueilli avec la plus grande froideur par les Français et Allemands de religion juive, qui ne se soucient guère de quitter les faubourgs qui les ont vus naître pour une terre désolée, aux eaux bitumineuses, qu’on leur dit être la patrie.

En Allemagne, à part quelques accusations de meurtres rituels, d’ailleurs bien vite mises à néant par la justice, le seul gros incident est l’affaire Ahlwardt.

Le recteur Ahlwardt, dans une brochure intitulée : « Fusils juifs », accusa, en 1892, l’israélite Isidor Lœwe, directeur d’une manufacture d’armes, d’avoir fourni à l’armée allemande plus de 400,000 fusils défectueux sur une livraison de 1,500,000. Ahlwardt fut condamné par le Landgericht de Berlin à cinq mois de prison pour diffamation ; sa condamnation lui valut son élection au Reichstag. Il y reprit l’affaire des « fusils juifs », il avait promis de prouver ses accusations. Mais il n’apporta à la tribune que des preuves insignifiantes ; le chancelier de Caprivi les réfuta. Ahlwardt fut vaincu à l’intérieur du Reichstag, mais vainqueur au dehors et porté en triomphe par le populaire.

S’il y a peu de faits, il y a une quantité énorme d’écrits, car il n’est pas un penseur allemand qui n’ait arrêté son attention sur la question.

Pour comprendre l’antisémitisme allemand, il faut connaître la reli-