Page:La Revue blanche, t15, 1898.djvu/190

Cette page n’a pas encore été corrigée

XII
L’EMPEREUR À M. DÉROULÈDE
20 janvier 1898.

Je n’aime pas vos patriotes. Ils crient dans les rues. Ils tapent du poing sur les tables de café. Ils braillent « vive l’armée ! » en bande. Mais ils supportent patiemment que leur ministre de la guerre déclare impossible de rendre la justice sans craindre la colère du roi de Prusse. Ce sont de petits caractères. Il ne leur vient pas à l’esprit de trouver monstrueux qu’après vingt-sept années d’armements, et la dépense de tant de millions, la France ne puisse ouvertement juger les siens. Cette raison qu’on leur présente, la peur de la Triplice, leur semble naturelle et conforme à l’honneur du pays. À leur place, je fusillerais un état-major qui m’avouerait de la sorte son impuissance devant l’étranger. Quoi ? Les alliés campent-ils encore sur la place de la Concorde, que l’on ne puisse rendre la justice sans leur demander permission ? Vos patriotes diffèrent des patriotes de Jeanne d’Arc qui purgèrent la France de l’Anglais. Ils diffèrent de leurs aïeux qui, avec moi, de 1792 à 1810, imposèrent à l’Europe le respect des Droits de l’Homme, qui me suivirent en Egypte, eux, pour empêcher M. Pitt d’y faire bombance et de tuer en Orient notre avenir commercial, tandis qu’aujourd’hui les vôtres laissent lord Salisbury occuper le canal de Suez et boucher le chemin de la Chine au détriment de l’industrie française. Puisqu’ils parlent si haut de l’armée et du drapeau, que ne marchent-ils au Rhin ? Pourquoi laisser depuis vingt-sept ans l’Alsace-Lorraine aux mains de l’ennemi ? Leur patriotisme consiste-t-il seulement à brailler, afin de se donner l’illusion d’un courage imaginaire ? Faites cesser cela. Pour relever l’honneur de l’armée française, il faut d’autres victoires que Fourmies.

N.


XIII
LE MAJOR GÉNÉRAL À M. MIRMAN

L’Empereur vous mande, M. Mirman, que vous recommandiez aux jeunes professeurs et répétiteurs l’étude de la campagne de Masséna en Suisse, les préliminaires de la bataille de Zurich, et les mouvements de Lecourbe vers le lac de Constance. Ce serait la meilleure façon de connaître le théâtre des opérations prochaines. La région du Rhône aux Cévennes devra particulièrement intéresser les géographes de la sénéchaussée d’Albi et ceux de la sénéchaussée de Provence, puisque là s’effectuerait la réunion de l’armée méridionale. Cette armée devra, en gardant les défilés des montagnes et en détruisant les ponts du Rhône, conserver libre un certain temps toute la rive droite jusqu’à ce que soient accomplies les jonctions entre les différentes troupes et que celles-ci aient pu franchir le fleuve, soit à Lyon, si la Commune y est maîtresse, soit à Givors pour gagner Genève par