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parade ou pour affaires, que tu aies des députés comme un Dieu a des prêtres, et que les lampions brûlent aux fêtes de ton souvenir comme des cierges sur l’autel d’un Dieu que l’on honore mais qui ne reviendra plus, Dieu de parade ou d’affaires, tu n’en existes pas moins, tu as tes vrais fidèles qui t’honorent non sur des autels, mais dans leur cœur, ô Révolte ! — Toi qui nous fus révélée et par trois fois parus aux hommes épouvantés ! Quel Dieu fit tant de miracles ? Quel Dieu eut tant de martyrs ? Quelle foi nouvelle d’un éclair plus rapide embrasa l’Univers ?

Dans l’arène, devant le rire des tigres et le rugissement des hommes, les chrétiens en mourant disaient : Je crois en Dieu. Ainsi dans la misère, à deux pas de la mort, les pauvres s’écriaient : Révolte ! je crois en toi !

Les barricades, la guillotine, l’exil, et Lambessa, Cayenne, Satory, Nouméa, qu’est-ce qui avait tué ça de l’idée de Liberté ? Et pour de quoi manger qui manque, désespérer ! Non ! tant de croyants, de martyrs, une légende dorée si riche d’enthousiasme, ces crucifiés pour la rédemption du pauvre monde, morts sans espoir de ciel, même sur cette terre, sinon pour d’autres qu’eux, — ces sans gloire, anonymes, cet héroïsme au tas, fleuve de dévouement qui s’est précipité…

Foi endormie au cœur des hommes, qui te réveillera ?

La Révolution existe ! Elle va venir. Les prophètes l’ont dit depuis plus d’un siècle entier. Tous les saints morts pour elle l’ont prouvée. Pour faire tout le monde heureux, elle va venir, je la vois…

Un jour…

Un jour, s’asseyant tous à la même table, on partagera gaiement son pain… que tous en aient.

On prendra tout au tas, suivant qu’on a besoin.

Les enfants dans de très grandes prairies, pourront jouer.

Rien n’empêchera tous ceux qui s’aiment, de s’aimer.

On travaillera gaiement, ce qu’il faut, comme on veut. Et comme il le fut dit au livre d’un prophète : le travail sera une fête ; on s’y rendra musique en tête…

Et qui sait ? devant tant d’hygiène et de bonheur, peut-être la mort elle-même, étonnée, reculera…

Alors se rappellera-t-on les mauvais jours des hommes ?

Avides, on travaillait sans relâche et sans plaisir. On travaillait tellement que le travail manquait. Sauvages ne connaissant la culture ni l’épargne, il y avait des chômages comme il y eut des famines. On détestait les siens plus que ses ennemis. On se battait avec la faim et le salaire, en concurrence, comme on se battait en guerre avec canon et poudre. On croyait qu’il fallait souffrir et faire souffrir. On ne savait pas pourquoi… Ç’avait toujours été… Lâches, on massacrait jusqu’aux petits enfants…