Cœur. Et là-bas, Monsieur Thiers, un peu au-dessus de Dieu, domine les autres morts d’autant que les vivants dominèrent sa personne, et se hausse sur la pointe des pierres de sa tombe, à deux pas de ce mur dont il barra la route à la dernière furie qui souleva le sang de France.
Révolution sociale !
Les hommes te savent vaincue ; les enfants ne te savent pas. Ils ont grandi. Jadis quand tu venais, tous les vingt ans, tous ceux qui étaient devenus grands te reconnaissaient pour avoir entendu parler de toi, ils te suivaient, pleins d’enthousiasme, tu les emmenais, et ils ont accompli des choses avec toi, car tu ne te reposais qu’ayant chassé un roi.
Plus de rois ! Ne savais-tu chasser que ce dessus de la misère qui en émerge de l’épaisseur d’une couronne ? N’as-tu plus de voix, as-tu trop tardé à venir ? Peut-être les petits ne te reconnaissent pas ! Les morts et les proscrits ne leur ont pas parlé de toi… Ou bien, flasque, leur cerveau n’a rendu aucun son au heurt de l’idée sociale. Ils ont dit à l’antique Révolte : dors, la vieille !
Pourtant, pleins de rage, piétinant et rongeant leurs poings, grinçant aux grilles, il en était encore, vieille, qui t’attendaient. Ils ne tenaient dans leur misère qu’en t’attendant. Ils vivaient, pour te voir. Oh ! non pas mort, vieux rêve ! Lentement refait dans le tombeau, toi qu’on enterre toujours avant de t’avoir tué, tu te lèveras, ou l’on te lèvera de la terre. Tes blessures pansées, on t’aidera à marcher. Tel quel, perclus, très vieux, étayé de béquilles, on te hissera encore pour l’épouvante des riches ! Toi qui te nourris de misère, tu n’es pas mort ! Ils t’enfermaient, mais ils le nourrissaient en cachette. Tu ne pouvais pas mourir tant que des sans-travail, des sans-pain te soutenaient. Parasite des pauvres, en vain t’écrasait-on, dans les loques et la crasse ta nichée à l’abri prospérait, honte d’une société qui sans s’être lavée mettait ses habits de fête. O toi qui donneras pain, vie, jouissance, vengeance, ça ne peut plus durer, le monde crèvera d’ennui, montre-toi, Révolution, parais aux hommes ! Parais afin que de nouveau les hommes croient en toi, et ne partent pas pour la mort sans t’avoir vue… Cramponnés à la vie. Révolte, nous t’attendons ! On ne peut plus… on va lâcher prise… À nous ! À nous !
Rêves ! Rêves ! Pas de pain. La nuit s’écoulait, lente, si lente, — que le jour semblait fuir au lieu de s’approcher, et la mort à la place de l’aurore, doucement, répandre ses rayons blêmes dans la mansarde, où la fièvre ayant chassé le froid, la toux plus rauque, plus âpre, secouait le sommeil de l’enfant.
Rêves ! Rêves ! Cerveau gorgé, le ventre toujours vide…
— Jacques, souffres-tu ?
Oui. Il souffrait. Qu’est-ce que ça lui faisait, au petit, la Révolution