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cage au travail, gîte à misère, par un trou quelconque, ne pouvait-on fuir, hors du vieux monde — ou de la vie ?

L’avenir !

Meilleur. — Ailleurs. — Amérique de fièvre et de rêve… Loin d’ici.

On ne sort pas de ce monde. Soumis à quelque agence, — car tout se paye et il faut corrompre les geôliers pour mettre quelque océan entre soi et la patrie ! — émigré, libéré conditionnellement, non content d’avoir donné toute sa jeunesse et tant de son courage au capital, aller lui conquérir de nouvelles terres, et faire reculer la nature devant lui !

Essayer cependant une fois la Terre Promise ! Il faudrait bien un jour un franc essai décisif, par lequel les rêveurs, en la réalisant, prouveraient le possible d’une société meilleure, jaillie vivante, armée de pied en cape, de leur cerveau…

Cela fut tenté. Endettés par avance, enfiévrés par les terres mauvaises, rebut de la société auquel on laissait prendre le rebut du sol, en guerre avec les bêtes, la nature, les sauvages, tant qu’humbles ils végétaient, et les civilisés dès qu’ils réussissaient, — ils ne s’élevaient pas vers le monde futur, ils aggravaient en l’agrandissant celui-ci.

Devant la nature vierge, on recommençait la vie. Pas autrement que jadis elle n’avait commencé. Esclavage, bataille, autorité, puissance des ambitieux, gloire des conquérants. L’expérience centuplait la vitesse de la métamorphose. Le monde moderne, pierre à pierre érigé par des siècles d’humains, poussait en quelques nuits, mais avec toutes ses tares.

Transplanter n’était pas assez. Avec des privilèges de climat et de sol, la chance du peu d’ennemis et des soins assidus, eût-on pu faire venir à bien la frêle Régénération, cette habituée des terres anémiques et droguées, esclave des tuteurs, plante de serre ! la pleine terre était trop robuste pour elle. Toujours les plus vivaces empiéteraient sur sa vie méthodique et bornée. Leur ombre la couvrirait. Contre ses racines lutteraient les racines du sol. Impossible ! Pour s’implanter en maître au sein de la nature, il la fallait d’abord dompter complètement, sans idéal, idée d’avance, tout à la lutte, dans une volonté, n’importe comment, de vivre.

S’expatrier ! Qui en France y consentait ? La bourgeoisie et le service militaire avaient bavé une colle tenace où s’engluaient les restes de l’antique race d’expansion. Un sourire triste régnait aux songes de lointain dont l’annonce seule jadis illuminait les faces. Comme l’eau des fleuves sèche dans les marais, que les grandes inondations d’autrefois ont laissés, on ne suivait plus le cours des flots vers l’océan, on attendait, en croupissant, qu’il vint à vous.

Où irait-on ? Ce monde de plus en plus accaparé laissait-il place à l’échappée des insociables ? Jadis plus dur, l’esclavage par endroits craquait sous l’effort, les agiles se glissaient de dessous la botte