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Ah ! frapper cette tête vaine contre les murs, par des coups y réveiller l’idée engourdie, — et des cris ! hurler, trépigner, manger le sol, et, comme son corps, crisper son âme…

Impossible ! Garrotté par une double chaîne, il ne bouge ! Comme dans le sac où l’on coud le mort et le vivant, si serré qu’il ne peut respirer ni se débattre, — la femme qui dort, l’enfant qui souffre, — il ne bouge, dans le cachot de cette mansarde, où le rivent ces deux haleines de faibles qu’il ne faut pas troubler.

Aussi le calment-ils, comme par un merci de respecter leur sommeil, ces deux souffles où il suit, dans leur douce cadence, les rêves heureux posés sur les dormantes silhouettes apparues au vague bleu de la nuit étoilée.

Les faibles ! Comme ils se sont cramponnés à lui ! Ils l’attachent au sol, à la vie acceptée, mais ils écartent en retour le désespoir, ils posent leurs douces mains sur la bouche qui maudit, lui versent le nouveau courage de toute leur confiance en lui.

— Ne désespère pas !

Meule stupide de la vie à rouler. Pénible marche, boulet au pied, les yeux bandés… Assez ! halte ! un pas de plus, à quoi bon ! Puisqu’on ne sait où on va… Sans doute on tourne en rond, on n’arrivera jamais…

On ne voit pas, mais l’enfant qu’on porte y voit pour vous. Juché sur vos épaules, et lourd, il voit de haut… Le bonheur devant lui. Va ! va ! petit père ! Je t’en prie ! Porte-moi jusque-là ! — Il a la certitude…

Tant qu’on ne le posera pas par terre…

Puis lui-même, quelque jour, continuera la route, vers le bonheur qu’il aura cessé de voir, mais vers lequel pourtant il se laissera conduire…

— Du bonheur ! y en aura-t-il pour toi, petit être ? Et pourquoi n’y en aurait-il ? Ah ! que l’amertume lâche, comme une fièvre que l’aurore calme, tombe…

Oui ! Oui ! je t’en ferai, du bonheur, tu en auras ! Sinon en France, ailleurs !

Nous verrons d’autres terres. Je ne serai plus sans travail. Je traquerai le travail partout où il se cache. Je l’atteindrai. Nous serons riches… Tu seras heureux !

Les terres tropicales, les Amériques de fièvre et rêve, et jeune sève !

Faux ! Faux ! Des mots pour s’étourdir ! L’argent ? Pour partir… Et la santé pour que le petit tienne au climat…

— Je partirai… je réussirai !

Il se raidissait contre le vrai, le désespérant. Le froid, la toux, chassaient le sommeil de l’enfant. Demain, que faire ! Où manger, où trouver des sous, de l’ouvrage… Tout l’assaillait, froid, maladie, chômage… Il tenait bon, défiait encore l’ennemi. Jusqu’à la mort il attendrait le renfort promis : de l’ouvrage ! de l’ouvrage ! Il y en a ! Je