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— La police me protège !

— Le peuple va se soulever…

— Le peuple ne se soulève plus.

— Qu’en sais-tu ! Une révolte…

— Eh ! bien, quoi, une révolte ! Ça se dompte ; on a des troupes.

— Ah ! tu as eu tort ! malheur t’arrivera. La clémence est si belle ! L’histoire est favorable à ceux qui furent cléments.

— Les temps sont durs pour eux. La réussite est favorable aux sans pitié.

— Mais tu n’es pas méchant, toi. Tu ne veux pas sa mort.

— Moi non, mais songes-y, la presse, le public… Un devoir supérieur…

— Lui aussi… Un devoir, comme tu dis… supérieur… il le croyait, le malheureux…

— On dirait que j’ai peur ! C’est de ça que j’ai peur…

— Ah ! les précautions ont beau être prises… Crois-moi…

— Regarde !

— Quoi ! qu’y a-t-il ? Tu pâlis…

— Regarde… L’aurore !

— L’aurore… eh ! bien, l’aurore…

— L’aurore ! C’est chose faite ! Laisse-moi… Allô ! Allô !…

— Tout est fini, monsieur.

— Eh bien ?

— Il s’est levé joyeux. Il est mort en chantant.

La Révolution, est-ce pour aujourd’hui ?

Non. C’est la mort. Pourtant, à la longue… si longtemps !…

Il avait bien pensé qu’on allait faire grâce !

Eh ! bien chantons ! Il y a des choses qui arrivent : la mort. Las de la mauvaise journée, heureux qu’elle soit finie. Mourir ! cette nouvelle clôt sa désespérance. Il ne songe pas à la vie qu’il quitte ; adieu misères ! Il songe aux rêves qu’il ne fera plus. D’autres les feront. Et il est bon de se dire qu’il y en a de ces rêves, qui durent un peu plus que le temps qu’on les rêve.

Allons ! la prison s’ouvre. Il se met à chanter.

Quoi ? Rien, un refrain quelconque, obscène, chanson gaie ; comme on en fredonne une en se rendant au travail, s’étant levé matin, frais, dispos, alerte, vif, jouissant de l’heure, d’ici l’atelier, et chantant.

La belle matinée ! Le soleil, sur les casques et le couperet, brille. C’est gai… Jouissons de la belle matinée. Entre la porte de la prison et la bascule, un petit air. Il y en a bien qui entre le berceau et la tombe, se trouvent heureux !

Il chante… Pose ? Non… Il aurait fait une phrase. Toute cette martyraille est usée. Formalité sans importance à accomplir ; la mort. Les conscrits partent en chantant. Mourons de même. C’est pour tout le monde, n’est-ce pas ?