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Et il n’y aura plus rien.

Rien, des soldats qui gardent les choses qui sont. Rien, de la misère qui se tait. Rien, des bourgeois qui jouissent. Rien, des réformateurs, des révoltés, du crime. Rien, de l’humanité qui souffre, qui souffre…


La mer est calme. Les bateaux sont au port. Les passagers sont sur les quais, attendent…

Il n’y a pas de vent, on ne peut pas partir. Quand le vent soufflera on n’osera plus partir.

On attend, tout pourrit, tout languit, tout s’ennuie.

Rêves évaporés, mirages tâtés du doigt, voyages mirifiques où l’on resta chez soi, espoir éventé, et port ensablé, vaisseaux appareillés qui au port sont restés, cervelles avariées, et dieux démodés, — aube de la Révolution sociale, Terre Promise !

On espérait l’orage et c’est la lente pluie, c’est le ciel gris, et l’eau qui noie — toutes les joies, — le ciel morne qui ne sera plus jamais bleu, — la pluie encore ! — et c’est l’ennui, et c’est la nuit, sans pain, sans feu, où tout s’endort, jusqu’à la mort.

III

La Révolution, est-ce pour aujourd’hui ?

Aujourd’hui, on ne va plus à l’église que par genre ; même la guerre, dieu tenace, on n’y croit plus beaucoup. On va à la caserne pourtant !… Faire comme tout le monde ! On parle aussi de revendications sociales. On fait la charité. Mais une révolution sociale…

— Vieillard, toi qui as tant vu, crois-tu à cela ?

— J’ai vu bien des promesses, des luttes, des batailles. J’ai vu la guerre, hélas ! Et des gouvernements, même des républiques… Et des révolutions, oui, des révolutions…

— Une qui fasse du mieux sur la terre…

— Jamais. Cela n’existe pas. Je ne l’ai jamais vu.

— La mort, vieillard ; — pas celle des autres, la tienne. Il y a longtemps que tu vis. Tu ne l’as jamais vue…

— La mort… Moi ! Pas encore… Pourquoi… Mourir ! Je sais… J’y songe, je me prépare… Un jour…

— Tout de suite… tout de suite…


O terre ! terre ! verra-t-on la terre aujourd’hui ?

On ne peut pas… le brouillard ! Elle serait là, à deux pas, on ne la verrait pas ! À quel point de l’horizon, quelle heure, paraîtra-t-elle ? Dans des années peut-être, ou dans une minute. Encore si l’on savait où l’on est… Impossible. Pas souffle de vent ! Immobile, sur place, depuis un temps infini, l’on reste… Cependant…