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vait rien. Dis-nous ce qu’on peut. Toi, qu’as-tu fait ? Du mal ! Oh ! nous le savions ; on en faisait assez !

Les femmes des marins, en pleurs près du Calvaire, prient, crient, appellent : Au secours ! Là ! sur la mer, leurs hommes, leurs enfants, en détresse… La mort écume, rugit autour d’eux et les lèche, De la mer, de la côte, on s’entend appeler. On se voit pleurer, on se voit mourir. Et on ne peut rien.

As-tu une barque, toi qui veux risquer ta vie ? S’il n’y en a pas, prier, crier, appeler, pleurer, même maudire, — vainement ! Résigne-toi. Meurs…

— À la nage !

Je n’ai pas de dogme. Je n’ai pas de bateau de sauvetage. J’entends des cris, je vais. Rien ne m’attache au sol. Je me livre corps et biens, m’aventure tout entier. Il fait nuit. Je suis las d’attendre qu’il fasse jour. Je ne sais pas où je vais, je ne connais pas la route. Pas de boussole, et je ne sais pas lire aux étoiles. Il y a des théories, des anarchies, des socialismes, que des gens savent. J’ai cherché à comprendre. Brouillard, fumée, vain bruit. Rien n’est sûr. Le hasard n’est pas plus hasardeux que tout cela. Si l’on croyait, tous partiraient. Mais on ne croit pas, et puis l’on ne croira plus jamais… La raison de mon acte… l’idée, dogme ? Néant. Je voudrais… Je ne sais pas.

Il y en a peut-être qui savent et se croisent les bras…

Moi, je ne sais pas… — Marchons.

Est-ce que c’est vrai qu’un homme généreux va mourir, est-ce que c’est vrai qu’un livre douloureux va se clore, et que le livre et l’homme ont souffert vainement, aussi vainement que l’encre et le sang ont coulé, qu’une pensée et une vie qui se sont consumées, n’ont qu’épaissi de leur suffocante fumée, l’air que, près d’étouffer, cherche, avide, la misère ! et qu’il fut tant d’atroces douleurs, et qu’il fut tant de patientes études vainement, tant de martyrs, révoltes, héroïsmes, tant d’utopies, systèmes, — vainement ! — tant d’existences brûlées aux lueurs des batailles, tant d’autres usées lentement à celles de la lampe, — têtes lourdes de pensées qu’a coupées l’échafaud, cœurs remplis d’héroïsme que les balles ont crevés et tant de belles, d’utiles et consolantes choses écrites en les livres qu’on ne lira jamais… — pour qu’ayant fait la somme, actes et idées, le tout, il faille fermer le livre et laisser mourir l’homme, sans une parole d’espoir, un bout de vérité, un rien, un : tenez, là ! vers quelque moins de douleur !

Rien, rien ! Même pas le silence, puisqu’on ne peut pas se taire !

Dans sa prison, le condamné à mort attend.

Il n’espère pas sa grâce ; c’est sa mort, qu’il attend.

Lui ? Et nous ! Qu’est-ce donc d’autre, dans la vie, qu’on, attend ?

Oh ! sortir des quatre murs de cette société !

On gracierait… c’est le bagne. — Que serait l’effet de ta grâce à toi, Révolution ?